Dimanche 3 février, des Mirage 2000 français ont bombardé une colonne de pick-up de groupes de l’opposition armée au nord-est du Tchad. Ainsi, onze ans jour pour jour après l’intervention militaire suite à laquelle les accords de Défense avaient pourtant été "renégociés" [1], l’armée française est intervenue une nouvelle fois pour venir en aide au dictateur Idriss Déby, à la demande des autorités tchadiennes comme le précise l’état-major français [2].
Pour Martin David, de l’association Survie, « cela démontre une nouvelle fois que le maillage militaire français permanent en Afrique, au titre de différents prétextes tels que la lutte contre le terrorisme aujourd’hui, permet au gré des alliances et des intérêts de Paris de venir en aide aux "dictateurs amis de la France". L’armée française a beau jeu d’expliquer que cette intervention répond à une simple demande des autorités tchadiennes pour lutter contre des groupes armés, ce qui implique qu’elle n’a pas besoin d’un cadre légal international. Mais l’opération Barkhane, dont le dispositif a été mobilisé pour mener à bien cette intervention, se poursuit en violation de la Constitution française : sa prolongation au-delà de 4 mois n’a en effet jamais été soumise au Parlement français, comme l’exige pourtant l’article 35 de la Constitution, modifié justement en 2008, après le sauvetage du régime d’Idriss Déby. Ce dernier considère que le "terrorisme", c’est tout ce qui peut menacer son régime et ses propres intérêts : c’est cette dictature que l’armée française soutient. » [3]
En 2015, l’association Survie avait alerté les députés membres de la commission Défense de l’Assemblée nationale, en produisant une analyse juridique contradictoire avec les arguments du ministre de l’époque, Jean-Yves Le Drian, selon lequel l’opération Barkhane, déclenchée en 2014, s’inscrivait dans le prolongement des opérations Serval et Epervier déjà autorisées par le Parlement. Cet argumentaire omettait volontairement que l’opération Barkhane couvre cinq pays du Sahel (Serval couvrait le seul Mali, Epervier le Tchad) et que ses objectifs affichés n’ont rien à voir avec les objectifs de l’opération Epervier, menée de 1986... à 2014. [4]
[1] Début février 2008, l’armée française était intervenue, officiellement pour sécuriser l’aéroport de N’Djamena, alors qu’une colonne de véhicules de groupes armés coalisés étaient arrivés jusqu’à la capitale. C’est à l’occasion de ces événements que le régime enleva et fit disparaître l’opposant Ibni Oumar Mahamat Saleh. Suite à cette intervention, le président Nicolas Sarkozy annonça le 28 février 2008, lors de son discours du Cap, la refonte des accords de Défense - même si la France n’avait en réalité pas d’accord de Défense à cette époque avec le Tchad.
[2] Voir la communication de l’état-major des armées, https://www.facebook.com/armeefrancaise/photos/a.339889002723498/2146848565360857/?type=3&theater
[3] Sur cette utilisation du prétexte de "l’anti-terrorisme" par Idriss Déby lui-même, notamment dans la région frontalière avec la Libye, voir par exemple "Tchad : La force G5 Sahel pour stabiliser Déby", Billets d’Afrique n°282, novembre 2018.