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Valls chez Déby : une provocation contre le peuple tchadien

Publié le 20 novembre 2014 - Survie

Le Premier ministre Manuel Valls et le ministre de la Défense, Jean-Yves le Drian, se rendent ce vendredi chez le dictateur tchadien Idriss Déby, au pouvoir depuis 24 ans. Un symbole désastreux, moins d’un mois après la chute de Blaise Compaoré au Burkina Faso voisin et surtout, alors qu’une répression sévère s’abat contre les Tchadiens, mobilisés pour obtenir le départ d’Idriss Déby à la fin de son mandat actuel.

La visite des deux ministres au Tchad puis au Niger a offciellement pour but de soutenir les soldats français de l’opération Barkhane, soit 3000 hommes officiellement (mais 3600 hommes officieusement d’après certaines sources), dont le commandement opérationnel est basé au Tchad. Barkhane, dans la continuité de Serval (au sein de laquelle l’armée tchadienne a joué un rôle déterminant) fait de ce pays un pivot du dispositif militaire français dans le Sahel, prenant le relais de l’opération Epervier, opération à l’origine "provisoire" déployée au Tchad depuis 1986 qui a principalement contribué à asseoir la dictature d’Idriss Déby.

Il s’agit également pour Manuel Valls de répondre à une invitation personnelle que lui avait adressée Idriss Déby alors qu’il n’était encore qu’un ambitieux ministre de l’Intérieur désireux de trouver une place sur les dossiers internationaux et d’étoffer son carnet d’adresses africain. Après une première tournée ouest-africaine en novembre 2013 et une visite en Algérie un mois plus tard comme ministre de l’Intérieur , c’est donc à N’Djaména, chez un des pires dictateurs du continent, que l’actuel Premier Ministre a choisi de poursuivre son initiation à la Françafrique. Cette visite se passe dans un contexte social extrêmement tendu et de répression de la société civile tchadienne. Depuis plusieurs jours, des mobilisations de plus en plus organisées voient le jour au Tchad, pour critiquer le régime en place, dénoncer les conditions de vie endurées par les Tchadiens et demander à Idriss Deby de ne pas se représenter à l’élection présidentielle de 2016, malgré les risques encourus à prendre publiquement des positions hostiles à Déby. Le 11 novembre, la répression a passé un cap, avec plusieurs morts, dont des lycéens, dans des manifestations organisées dans la capitale et deux autres villes. Malgré cela, les manifestations se poursuivent dans plusieurs villes du pays.

Malgré la similitude avec d’autres mouvements sociaux qui ont ébranlé les régimes francafricains dans un passé recent, en Tunisie ou au Burkina Faso, cette mobilisation et cette répression sont totalement passées sous silence dans les médias internationaux et ne paraissent pas susciter de réaction auprès des autorités françaises. La France est d’autant plus complice de cette violente répression qu’elle entretient depuis toujours des liens étroits voire fusionnels entre son armée et les forces de sécurité tchadiennes. La coopération sécuritaire se poursuit, par un dispositif évolutif où une douzaine de coopérants militaires, "opérant sous uniforme tchadien en qualité de conseillers des responsables des armées, directions et services du ministère tchadien de la défense". Ceux-ci ont la possibilité d’influencer l’état-major de l’armée tchadienne, qui bénéficie de programmes de formation et de renforcement des capacités pour lesquels sont également mobilisées les forces françaises déployées dans le pays [1]. La présentation angélique et hypocrite de cette coopération sécuritaire sous l’angle du renforcement du processus démocratique permet même à la France d’en comptabiliser une partie des coûts sous forme d’aide publique au développement. Solidaires de leurs "frères d’armes" tchadiens, les militaires français contribuent à taire certains de leurs crimes, à l’exemple de la disparition de l’opposant Ibni Oumar Mahamat Saleh en février 2008, en pleine opération française de sauvetage de Déby.

Idriss Deby, depuis sa participation à l’opération Serval au Mali, et en tant qu’hôte du centre de commandement de Barkhane, jouit à nouveau d’un soutien de la France sans limite qui lui a permis de redorer son image à l’international, alors qu’il était auparavant considéré comme un interlocuteur peu fréquentable au vu de son régime dictatorial, clanique et violent. Aussi, dans ce contexte, le déplacement des deux ministres au Tchad, moins d’un mois après celui du président de l’Assemblée nationale et de députés français, vaut comme un nouveau signe clair de soutien à Idriss Deby, sérieusement mis à mal dans son pays et inquiet des répercussions de la chute de son acolyte de la Françafrique, Blaise Compaoré.

Survie demande :

  • aux ministres français de renoncer à se rendre à N’Djamena pour renconter le dictateur tchadien
  • la fin du soutien diplomatique, militaire et économique français à la dictature tchadienne
  • la fin des opérations extérieures française en Afrique et la fermeture des bases françaises au Tchad, en commençant par un retrait immédiat du commandement Barkhane du Tchad

[1Voir par exemple la présentation de "L’action de la délégation de la DCI" et du "Projet Formation des cadres de l’armée nationale tchadienne" sur le site internet de l’ambassade de France au Tchad, et surtoutle compte-rendu daté du 10 février 2014 de la visite au Tchad d’une délégation de la commission Défense du 15 au 19 décembre 2013

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