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Les dangereuses impostures de la « guerre contre le terrorisme » - Dossier

Publié le 2 février 2016 - Survie

Depuis les tragiques attentats de Paris le 13 novembre 2015, nombreux
sont les associations et mouvements de la
société civile à avoir exprimé leur
profonde inquiétude face au tout
sécuritaire de l’état d’urgence, notamment
au sein de l’appel unitaire « Nous ne
cèderons pas
 » dont Survie est signataire.
Aujourd’hui, le gouvernement est sur le
point de demander au Parlement de voter
la prolongation de cet état d’urgence
jusqu’au 26 mai et son inscription dans la
Constitution, ainsi qu’une loi « contre le
crime organisé et le terrorisme ».

L’état
d’urgence en vigueur depuis bientôt trois
mois a pourtant prouvé ses dangers et
ses limites : plus de 3000 perquisitions en
dehors de tout contrôle judiciaire, pour la
plupart inutiles et sans aucun lien avec la
« lutte anti-terroriste », dont une majorité à
l’encontre de personnes ciblées en tant
que musulmanes, près de 400 assignations à résidence arbitraires et souvent basées sur le « comportement »,
l’interdiction opportune de plusieurs
mobilisations lors de la COP21, et de
nombreux cas de bavures et violences
policières.

Dossier Les dangereuses impostures de la « guerre contre le terrorisme »

Dans le même temps, l’interventionnisme
militaire de la France en Afrique et au
Moyen-Orient se poursuit sans pour
autant susciter le moindre débat dans la
classe politique et médiatique. Au nom de la « guerre contre le terrorisme », la
France
est
aujourd’hui
présente
militairement principalement sur deux
fronts : en Afrique de l’Ouest et Centrale
dans le cadre de l’opération Barkhane [1] ;
en Irak et en Syrie, notamment par ses
frappes aériennes contre l’Etat Islamique
(opération Chammal).

Cette politique sécuritaire et guerrière doit
cesser. Liberticide, inefficace, elle est le
résultat d’un dangereux aveuglement
politique quant aux causes profondes du
« terrorisme » et est menée en l’absence
de tout réel débat démocratique. Encore
plus qu’avant les attentats, questionner la
politique étrangère de la France, en
particulier son volet « anti-terroriste », et
ses enjeux à l’étranger comme en France,
est indispensable. Depuis plus de 50 ans,
la France soutient en Afrique des régimes
criminels, précieux clients de l’industrie
française de l’armement, producteurs de
matières premières stratégiques, marchés
juteux pour les entreprises françaises et
parfois investisseurs opportuns en France.
Depuis plus de 50 ans, l’armée française,
pilier incontournable de cette politique de
puissance, reste positionnée en Afrique,
autrefois sous prétexte de l’opposition au
« péril » communiste, et aujourd’hui sous
celui de la « guerre contre le terrorisme ».

La classe politique, prompte à voter de
façon quasi unanime l’état d’urgence,
n’est toujours pas parvenue à se saisir
des enjeux de cette politique extérieure
court-termiste et mortifère. Comme en
matière de contrôle des opérations extérieures, lorsqu’ils sont consultés par
l’exécutif, rares sont les parlementaires
qui s’insurgent des alliances criminelles
de notre État au nom d’intérêts
économiques ou géostratégiques [2] , ou
encore à exiger un renforcement du
contrôle parlementaire des exportations
d’armement. Personne ou presque n’ose
critiquer l’interventionnisme de l’armée
française, vieille tradition impérialiste
désormais parée de nouveaux habits, qui
ne fait pourtant que renforcer la colère et
parfois le basculement dans la violence de
celles et ceux qui subissent cette politique
va-t-en guerre, et dont toutes les
alternatives de mobilisation politique ont
été
méticuleusement
sapées.
Les
conséquences dramatiques de cette
politique sur les citoyen-ne-s d’Afrique et
du Moyen Orient, et ce qu’elle révèle sur
l’état de la démocratie et la justice en
France, sont passées sous silence.

Depuis plus de 30 ans, l’association
Survie analyse les ressorts de la politique
étrangère française en Afrique. Ces
dernières années, l’interventionnisme
militaire français sur le continent africain a
retenu toute notre attention, car les
opérations Serval (2013) au Mali puis
Barkhane
(2014)
ont
permis
le
déploiement ou le repositionnement des
forces françaises dans ses anciennes
colonies,
dans
un
contexte
de
renforcement du poids des militaires sur la
vie politique française et de l’organisation
de leur impunité. En s’appuyant sur les
régimes dictatoriaux et autocratiques du continent pour mener à bien cette
« guerre contre le terrorisme », l’Etat
français se rend complice de la terreur
pratiquée par ces régimes sur leurs
populations : par exemple au Togo,
premier pays à avoir annoncé son soutien
à l’opération Serval, au Tchad, première
force mobilisée en nombre, mais aussi à
Djibouti, en Mauritanie, au Cameroun. En
France, les enjeux de ces guerres sont
tout aussi nombreux : menées depuis
plusieurs années sans véritable contrôle
parlementaire (parfois même en violation
de la Constitution), symboles de
l’influence grandissante du militaire sur le
politique, elles illustrent la prégnance de
l’héritage colonial et du système
françafricain sur nos institutions. L’état
d’urgence mis en place aujourd’hui, et les
mesures sécuritaires qui l’ont précédé
depuis deux ans et l’accompagnent, est lui
aussi inspiré de doctrines coloniales.

Ce dossier, qui rassemble des textes et
articles
publiés
récemment
par
l’association et son mensuel Billets
d’Afrique, vise
à apporter divers
éclairages : sur les origines coloniales
de l’état d’urgence (pages 4 à 9), sur la
« guerre contre le terrorisme » menée
en Afrique (pages 10 à 19), sur ses
enjeux en Afrique et en France (pages
20 à 36).

Dossier Les dangereuses impostures de la « guerre contre le terrorisme »

[1Selon les déclarations du gouvernement, celle-ci
concernerait la Mauritanie, le Mali, le Burkina Faso,
le Niger et le Tchad. Le dispositif sert aussi pour la
lutte contre Boko Haram au Nigéria et déborde très
probablement sur le sud de la Libye.

[2Y compris lorsque certains de ces régimes ont des
liens idéologiques et parfois financiers avec les
groupes "terroristes" que la France entend
parallèlement combattre (A ce sujet, voir "L’Arabie
saoudite, sponsor de l’Etat islamique ? Oui, jusqu’en
2014", Justine Brabant, arretsurimages.net,
17/11/2015)

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