À l’heure où le cyclone Chido a ravagé l’île de Mayotte, département colonisé, mais aussi l’ensemble des Comores, la droite et son extrême ont trouvé le coupable : les Comorien·ne·s.
Mayotte, île revendiquée en vertu du droit international par l’Union des Comores, vient de subir un drame qui semble insurmontable. Le 14 décembre dernier, un cyclone tropical du nom de Chido a plongé une partie des Comores dans la plus grande détresse. À l’heure où ces lignes sont écrites, on ignore encore le bilan définitif de cette catastrophe, mais il se comptera probablement en centaines de mort·e·s et des milliers de blessé·e·s, sans compter les dégâts matériels colossaux. Le préfet de Mayotte estime « qu’il y a certainement plusieurs centaines de morts, peut-être approcheront nous le millier ». En effet, il est encore difficile de dénombrer le chiffre exact de victimes, des corps étant encore ensevelis sous les décombres.
Après Mayotte, Chido a également durement frappé les trois autres îles comoriennes, où des destructions et des inondations ont été constatées à Anjouan, ainsi qu’au Mozambique, faisant soixante-treize mort·e·s et plongeant les villes de Pemba et de Nampula dans l’obscurité. Car oui, le cyclone Chido ne reconnaît pas les frontières et n’a pas besoin de visa. Contrairement aux politiques de droite et d’extrême-droite qui multiplient les sorties médiatiques pour mettre en cause les Comorien·ne·s.
Les Comorien·ne·s, éternel·le·s coupables
Dès le lendemain du cyclone, la députée mahoraise d’extrême-droite Estelle Youssoupha déclarait sur Cnews que « la moitié de la population [à Mayotte] est étrangère ». Deux jours plus tard, le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau lui emboîtait le pas sur le réseau social X : « On ne pourra pas reconstruire Mayotte sans traiter, avec la plus grande détermination, la question migratoire […] Il faudra légiférer pour qu’à Mayotte, comme partout sur le territoire national, la France reprenne le contrôle de son immigration ».
Ces déclarations visent les Comorien·ne·s originaires des trois autres îles de l’Union des Comores. Ils/elles habitent Mayotte mais y sont considérés comme étrangers depuis que la France a conservé l’île sous sa coupe au moment de l’indépendance des Comores. Ce qui relève d’une aberration étant donné que les mahorais·e·s tout comme les autres comorien·ne·s sont issu·e·s d’un même peuple partageant la même culture, la même langue, la même religion et une histoire commune. Un territoire volé donc aux Comores, comme nous le rappelait Pierre Caminade dans son Dossier noir, Comores-Mayotte une histoire néocoloniale publié par notre association en 2010.
Vingt ans après l’indépendance, en 1995, le visa Balladur venait entériner cette frontière créée de toutes pièces par la France au cœur de l’archipel. Depuis, les Comorien·ne·s des trois autres îles ne peuvent plus se rendre à Mayotte sans autorisation. Une absurdité criminelle à l’origine de la mort des dizaines de milliers de Comorien·ne·s qui tentent quotidiennement de rejoindre Mayotte par tous les moyens, notamment pour bénéficier de soins médicaux. Pourchassées par la police aux frontières, leurs embarcations, les fameux kwassa-kwassa, échouent régulièrement en mer, entraînant la mort de leurs passager·ère·s – ce qui n’a pas manqué de faire rire Emmanuel Macron en 2017 [1].
Mayotte devenue département français en 2011, les exactions à l’égard des Comorien·ne·s non mahorais n’ont pas cessé. Quand ce ne sont pas des collectifs de citoyens qui décident de se faire justice eux-mêmes à coups de « décasage », ces opérations illégales d’expulsion et destruction de logements, sous le regard impassible des gendarmes, c’est l’opération Wuambushu, voulue par le ministre de l’Intérieur et des Outre-mers d’alors, Gérald Darmanin, qui envoie les forces de l’ordre faire le sale boulot.
À chaque problème qui touche l’île, il faut un coupable et ce coupable, c’est toujours le·la Comorien·ne. Lors de la grave crise de l’eau de 2023, comme pour mieux détourner le regard face aux enjeux sociaux et environnementaux, Gérald Darmanin annonçait une restriction du droit du sol à Mayotte, pourtant ici déjà fortement restreint. Aujourd’hui, incapable de répondre aux besoins des habitant·e·s de Mayotte lourdement impactés par le cyclone, le nouveau ministre de l’Intérieur Retailleau ressort la même sempiternelle carte de l’immigration.
Boucs émissaires pour les maux dont ils/elles ne sont aucunement responsables, les Comorien·ne·s qui survivent à Mayotte, déjà particulièrement victimes de pratiques discriminatoires d’État, ont en fait été aussi parmi les principales victimes du cyclone. Ce sont les bidonvilles qui ont été les plus touchés. Les maisons en tôle bien sûr mais aussi leurs habitant·e·s, dont beaucoup de personnes en situation irrégulière, qui n’ont pas pu, par manque d’information, rejoindre les abris en dur proposés par l’État ou qui n’ont pas voulu quitter les bidonvilles. Le journaliste Rémi Carayol en donne la raison : « La grande majorité d’entre elles ont préféré braver le cyclone Chido plutôt que de se rendre dans les abris officiels. De peur de se faire contrôler et expulser » (Mediapart, 18 décembre).
C’est pourtant bien la politique néocoloniale de la France aux Comores qui porte l’entière responsabilité de ce drame. C’est sur ce territoire dit « français » que 85% de la population vit sous le seuil de pauvreté et n’a généralement pas de quoi se loger dignement. La seule réponse du néocolonialisme français à la misère sociale qu’il a lui-même généré, cela a été une répression parfaitement stérile : la politique ratée de destruction des bidonvilles de l’opération Wuambushu. L’État français a fait le choix insensé de chasser perpétuellement les Comorien·ne·s de leurs propres terres, sa priorité n’a jamais été la sécurité de tous les habitant·e·s de l’île.
Colonisé-e·s, méprisé-e·s
Mayotte est pourtant située dans une zone cyclonique. Ce n’est donc pas le premier cyclone auquel elle fait face, bien qu’il soit le plus violent depuis 1934. On peut donc légitimement s’interroger sur le manque criant de moyens et d’anticipation de la part des autorités françaises. En réalité, ce manque-là n’est que la démonstration d’un mépris total de la France pour ses colonies, anciennes ou actuelles. Celles-ci sont destinées de tout temps à nourrir et enrichir la métropole, et non pas l’inverse. Pourquoi alors s’étonner que le Premier Ministre, François Bayrou, ait préféré assister au conseil municipal de la ville dont il est maire plutôt que de se rendre à Mayotte pour montrer toute sa compassion et sa solidarité face à cette crise ?
La situation coloniale à Mayotte se ressent aussi bien au quotidien – ce département est le plus pauvre de France, et de loin – mais aussi dans ce type de circonstances dramatiques : le réseau d’électricité tarde à être remis en place, environ 80 % de la population mahoraise n’a toujours pas d’électricité, par conséquent l’eau peine à couler dans les robinets, une aide humanitaire de 158 conteneurs a bien été envoyée depuis la Réunion mais n’arrivera seulement que dans 4 jours et le port de Mayotte ne garantit pas de pouvoir tout décharger. Cette tragédie nous rappelle ce fait indéniable : Mayotte est bien une colonie...
[1] Deux semaines à peine après son investiture, le chef de l’État avait ironisé sur le kwassa-kwassa expliquant qu’il « pêche peu, il amène du Comorien, c’est différent ».