Survie

Comment Vivendi a siphonné des milliards

Publié le 21 octobre 2004 - Survie

Extraits tirés du Parisien, France, 21 octobre 2004.

« Le magot colossal des tuyaux. » (...) Entre 1,5 et 3 milliards d’euros (10 à 20 milliards de francs), payés par les citoyens sur leur facture d’eau pour renouveler les canalisations dans toute la France, ont été siphonnés par Vivendi, propriétaire de la Compagnie générale des eaux, pour renflouer... Vivendi, dirigé alors par Jean-Marie Messier. Cette «  histoire d’eau » ressurgit cet après-midi au tribunal de grande instance de Paris à l’occasion d’une action en diffamation opposant Veolia (ex-Compagnie générale des eaux) à l’un de ses salariés, Jean-Luc Touly. Ce syndicaliste est poursuivi pour avoir publié l’année dernière un ouvrage [1], avec son coauteur Roger Langlet, qui dévoilait l’affaire de la cagnotte. (...)

Pour comprendre pourquoi cette dernière continue d’avoir des répercussions sur le prix de notre facture d’eau et l’entretien des canalisations, il faut remonter à la fin des années 1990. Le coup de baguette magique de Messier. « Quand Jean-Marie Messier prend la tête de Vivendi, il découvre, émerveillé, que les délégations régionales de la Compagnie générale des eaux dormaient sur un trésor, explique Jean-Luc Touly. Des centaines de millions d’euros versés par les usagers en vue de changer les canalisations à durée de vie limitée. » Messier a « un coup de génie ». Il décide que ces provisions sont des «  primes d’assurance » et crée un réseau de sociétés (...) pour rapatrier l’argent vers Vivendi. (...)

La mairie de Paris : « rendez l’argent  ». A l’époque, les collectivités locales qui délèguent la gestion de l’eau à Vivendi ne connaissent pas ce montage. En 2002, l’équipe Delanoë arrive à la mairie de Paris et tape du poing sur la table : Veolia doit rendre l’argent (...). En revanche, une majorité d’autres villes de France ne bouge pas et s’estime satisfaite de Veolia. Seul le conseil général des Landes a remis en cause les contrats avec les entreprises de l’eau, estimant le prix trop élevé. « C’est scandaleux, personne n’ose réclamer de l’argent qui a pourtant disparu », lance Jean-Louis Linossier, de la Coordination nationale des consommateurs d’eau. Qui va payer les tuyaux dans l’avenir ? Veolia a conclu, sans publicité, un accord avec Vivendi qui versera, à partir de janvier 2005, 304 millions d’euros sur douze ans. Soit une perte d’au minimum 1 milliard d’euros... évaporés. Entre-temps, il faudra changer des milliers de kilomètres de canalisations. Si Veolia assure qu’elle fera face à ses obligations, beaucoup de spécialistes pronostiquent des dépenses supplémentaires sur les factures d’eau.

Par Eric Giacometti


« C’est choquant »

Anne LE STRAT, PDG de la Sagep, société d’économie mixte de gestion des eaux sur Paris, témoigne aujourd’hui au procès.

Le pactole des provisions pour le réseau d’eau est-il connu ?

Anne Le Strat. Oui, j’ai découvert ce mécanisme quand j’ai pris la tête de la Sagep en 2001. (...) Il faut savoir que les deux grandes entreprises d’eau, la Compagnie des eaux de Paris, filiale de Veolia et Eaux et forces, filiale de la Lyonnaise des eaux, en profitent. Au terme de dures négociations la Ville de Paris a estimé que les deux sociétés devaient la bagatelle de 153 millions d’euros. En conséquence, elles sont dans l’obligation de faire des travaux jusqu’en 2009 en fonction d’objectifs précis. Et encore, je ne suis pas totalement satisfaite car l’accord signé ne porte pas sur un montant financier mais sur des travaux de rénovation du réseau qui seront vraisemblablement réalisés pour un montant inférieur à celui estimé. (...)

J’ai appris aussi que la Compagnie des eaux de Paris avait acquis grâce au système des provisions des terrains et des immeubles sur Paris, soit 22 millions d’euros de capitaux propres plus 18 millions d’actifs immobilisés ! Pourtant, un rapport commandé par Veolia blanchit ce système... Faire des provisions, c’est légal, mais il est absolument anormal que l’opacité la plus totale règne sur la destination des fonds. On sait très bien qu’il y a un écart énorme entre les travaux effectués et les sommes encaissées. Les entreprises d’eau se sont enrichies, mais maintenant il va bien falloir payer pour les travaux qui s’annoncent.

Propos recueillis par E.G.


« C’est légal »

Guy CARCASSONNE a été consulté par Veolia avec Philippe Terneyre comme professeur de droit. Il a rendu un rapport en mai sur cette affaire.

L’argent des tuyaux qui part dans les comptes de Vivendi, est-ce bien légal ?

Guy Carcassonne.
Oui. Nous avons étudié ce mécanisme, certes compliqué, mais la légalité est respectée. Les sommes en cause n’appartiennent pas aux usagers de l’eau mais à l’entreprise, qui en fait ce qu’elle veut en termes d’optimisation de trésorerie. Charge à elle d’assurer ses engagements en termes de renouvellement de canalisations. (...)

Propos recueillis par E.G.

[1« L’Eau de Vivendi, les vérités inavouables  », Editions Alias.

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