Survie

Janek Kuzkiewicz, auteur du rapport de la CISL sur la Birmanie : « La firme nie mais le travail forcé continue »

Publié le 21 octobre 2002 - Pierre Caminade

Libération, France, 21 octobre 2002.

Janek Kuzkiewicz est directeur adjoint des droits humains et syndicaux à la CISL, la Confédération internationale des syndicats libres [1], et auteur d’un rapport sur la Birmanie qui dénonce la « complicité » actuelle de TotalFinaElf dans les violations aux droits de l’homme de la junte.

Entretien.

Quelles nouvelles preuves apportez-vous sur l’implication de TotalFinaElf dans le travail forcé en Birmanie ?

Pas moins de 16 villages ont été forcés de participer en avril dernier à la construction d’une route à proximité du gazoduc. Mais alors qu’on avait assuré aux familles ­ un millier de personnes ­ qu’elles seraient payées, elles n’ont rien perçu. TotalFinaElf se défend en disant avoir un contrat uniquement avec l’armée, qu’elle paie pour assurer la sécurité du gazoduc. Et assure lui avoir demandé de ne plus avoir recours au travail forcé. Mais, de fait, elle accepte de lui sous-traiter du travail. Et se cache derrière son contrat sans chercher à voir les atteintes aux droits de l’homme...

Quelle est la nouveauté de ces accusations par rapport aux précédentes ?

La nouveauté, c’est qu’en dépit des efforts de communication de TotalFinaElf, la situation n’a pas changé, bien au contraire. Dès le début des travaux, le travail forcé et le déplacement de populations se sont multipliés. Et TotalFinaElf a nié. Une fois le gazoduc fini, la firme, pour l’exploiter, a sous-traité la sécurité (escorte des expatriés, construction de routes, postes de gué) à l’armée qui force la population à travailler sans la payer. Et Total s’évertue à nier. Malgré une pause l’an passé après une inspection de l’OIT (Organisation internationale du travail, ndlr), le travail forcé reprend de plus belle. Et Total nie encore.

Avez-vous tenté de contacter le groupe ?

Non, c’est une perte de temps. Il se borne à assurer que les accusations sont infondées, qu’il a un code de conduite et travaille dans la transparence. Il assure avoir ouvert des écoles et des dispensaires, voire des élevages de poulets. Mais il ferme les yeux sur le reste. La conscription imposée par l’armée et le travail forcé s’aggravent. Les groupes syndicaux deviennent le centre de violentes attaques. Et l’investissement des multinationales, comme TotalFinaElf, contribue à maintenir la junte en place.

Comment expliquez-vous que TotalFinaElf tolère une telle situation ?

Le groupe n’a toujours pas compris qu’il va se trouver face à une situation de plus en plus inconfortable, confronté à deux procédures judiciaires en France et en Belgique, et une autre, plus indirecte, aux Etats-Unis. De nombreuses firmes sont pourtant déjà parties de Birmanie ou s’apprêtent à le faire, comme Premier Oil. D’autres comme Shell au Nigeria, ont commencé, même timidement, à tirer les leçons de leur implication directe ou indirecte dans les violations des droits de l’homme. Pas TotalFinaElf.

Par Christian LOSSON

© Libération

[1La CISL représente 157 millions de travailleurs de 225 organisations affiliées, réparties dans 148 pays.

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