Survie

L’« Edoil », bateau-poubelle bloqué à Sète

Une plainte a été déposée contre l’armateur grec.

Publié le 27 décembre 2004 (rédigé le 9 juin 2003) - Sharon Courtoux

(Voir in fine le point au 27 Décembre 2004)

Libération, France, 9 juin 2003.

C’est un chimiquier de 80 mètres de long, construit en 1975, déclassé en raison de son mauvais état et reconverti dans le transport de liquides agro-alimentaires. Depuis 1998, les contrôles réguliers ont mis en évidence des infractions graves du navire à la réglementation maritime internationale. En raccourci, l’Edoil est un bateau-poubelle, enregistré aux îles Tongas (océan Pacifique), un petit Etat connu pour abriter des pavillons de complaisance. Arrivé le 3 février dans le port de Sète pour charger de l’huile de colza, il y est toujours. En mars, la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH) a déposé plainte au tribunal de grande instance de Montpellier contre son armateur, un Grec, Juanis Pandernalis, pour « mise en danger délibérée de la vie d’autrui ». Le 21 mai, l’équipage de l’Edoil a suivi la FIDH et déposé plainte à son tour. Une première. Le parquet a ouvert une enquête.

Pedigree. A Sète, les hommes de la direction régionale des affaires maritimes ont consulté la banque européenne de données Equasis [1], qui répertorie les bateaux en circulation. Ils ont lu le pedigree de l’Edoil, procédé à son contrôle, et arrêté le bateau. Parmi la quarantaine d’infractions relevées, Pierre Sinquin, son directeur, a pointé des « délits majeurs qui interdisent son appareillage ». Parmi elles, figurent un de certificat de navigation « délivré par une société de classification inconnue au bataillon », un groupe électrogène hors service, des fils électriques à nu, une radio défaillante, des cartes de navigation inappropriées, une insuffisance de pression dans les pompes à incendie et « des canots de sauvetage pas très nets ». « En cas d’inondation des cales, il n’y a pas de groupe électrogène pour actionner les pompes à eau et donc éviter que le bateau ne coule à pic. Les fils à nu sont susceptibles de provoquer un incendie qui ne pourrait pas être éteint. Et, faute de radio, l’équipage ne pourrait même pas appeler au secours », résume Pierre Sinquin. Comme pour le Florenz, vraquier abandonné il y a deux ans avec les vingt-deux membres de son équipage, la direction des affaires maritimes a aussi découvert que les marins de l’Edoil, deux Grecs et cinq Pakistanais, n’étaient pas payés.

Soutenu par ITF (International Transport Federation), le syndicat des marins, l’équipage de l’Edoil a bloqué la cargaison d’huile estimée à 850 000 dollars (environ 720 400 euros). Les marins, sans réponse de l’armateur, réclament 65 000 dollars d’arriérés de salaires ; ils ont finalement obtenu de l’affréteur, le négociant suisse Oleo Trading, 8 000 dollars, et de l’Etat français, une avance sur salaire de 27 000 euros. Avec un billet d’avion, payé par l’OMI (Office des migrations internationales), les marins doivent regagner leur pays le 12 juin. D’ici là, ils seront entendus par les policiers de Sète chargés par le procureur de la République de Montpellier d’une enquête préliminaire.

Exemple. Trois mois après la diffusion d’un rapport qui dénonce les conditions de démantèlement des navires, la FIDH espère faire de l’Edoil un exemple : « Dans le système complexe et mal régulé du transport maritime international, les ouvriers des chantiers sont en bout de chaîne et en sont les grands perdants », pointe Anne-Christine Habbard dans son rapport, résultat de quatre missions menées sur des chantiers de démolition des navires à Chittagong au Bangladesh et Alang en Inde (95 % du marché). Là, les marins sont exposés à l’amiante, l’arsenic, des métaux lourds, les dioxines et autres substances toxiques. Les accidents du travail sont nombreux et souvent mortels. « Dans cette filière, il est d’abord dans l’intérêt des armateurs de faire naviguer le plus longtemps possible les bateaux, même au prix de la vie des marins, l’envoi à la casse venant en dernier recours », dénonce Marie Guiraud, responsable du bureau mondialisation et droits humains de l’ONG. C’est cette chaîne que la FIDH veut arrêter avec l’Edoil.

Règles. La direction des affaires maritimes ne serait pas non plus fâchée de pouvoir rappeler armateurs et affréteurs au respect des règles. Même si l’administration sait que l’armateur laissera saisir le bateau, et économisera ainsi les frais de transport pour l’envoi à la casse. Il y a quelques jours, Emmanuel Daoud, avocat de la FIDH, a rappelé dans un courrier adressé au procureur de la République que les marins étaient sur le départ.

Par Catherine BERNARD

© Libération

deux ans après il y est toujours

Voir historique et situation sur le site de la coordination marée noire de Nantes
article de James Smith

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