Survie

L’équipée étrangère de la marine marchande française

Retour en grâce d’un texte bouleversant la composition des équipages.

Publié le 25 novembre 2004 - Survie

Libération, France, 25 novembre 2004.

Le RIF (registre international français) retrouve quelques couleurs. Six mois après que la majorité a battu en retraite sur son projet de création d’un pavillon bis qui devait permettre aux navires français de marine marchande d’embarquer des équipages composés quasiment exclusivement de marins étrangers, le projet pourrait revenir devant les députés début janvier.

Présentée initialement en 2003 et soutenue par le gouvernement, la proposition de loi envisageait de limiter à deux le nombre minimum de marins français à bord des navires tricolores, contre 35 % en pratique aujourd’hui (Libération du 12 décembre 2003). Rebaptisé « pavillon de complaisance français » par ses détracteurs, le RIF avait réussi ­ pour la première fois en vingt ans ­ à fédérer en intersyndicale (CGT, CFDT, CFTC, CGC, FO et autonomes) les organisations du personnel, et avait alerté plusieurs élus UMP du littoral atlantique, inquiets des conséquences sociales de ce texte. Bien qu’adopté par le Sénat en décembre 2003, le texte a été prudemment retiré en début d’année. Une nouvelle mouture du projet émerge lentement, au cours des dix réunions entre armateurs et syndicats qui ont eu lieu depuis avril. Les deux parties se seraient rapprochées : l’intersyndicale ne souhaite pas descendre le niveau des navigants français sous les 35 % alors qu’Armateurs de France (représentant le patronat) accepte ce taux de 35 % sur les navires bénéficiant d’un GIE (mesure fiscale incitative d’une durée de huit ans), mais souhaite qu’il soit baissé à 25 % pour le reste des navires [1].

Assiette de calcul. Autre sujet de crispation : syndicats et Armateurs de France ne sont pas d’accord sur l’assiette du calcul, les premiers souhaitant que la part de marins hexagonaux soit calculée sur l’effectif embarqué, alors que les patrons souhaitent qu’il soit calculé sur l’effectif minimal autorisé. « Nous ne céderons pas sur ce point. Nos concurrents européens ont des registres leur permettant de limiter les nationaux à un ou deux navigants », tonne-t-on à Armateurs. C’est désormais au gouvernement de trancher puisque le fruit de ces discussions sera réinjecté via une quinzaine d’amendements portés par le secrétaire d’Etat à la Mer, François Goulard. Selon nos informations, ce dernier retiendrait le taux de 35 % de Français souhaité par les syndicats et pencherait pour une assiette de calcul médiane. Cette nouvelle version représenterait un gain très relatif pour les armateurs qui, depuis 1986 et la création d’un premier registre bis dit TAAF, peuvent déjà embarquer 65 % de navigants étrangers. De l’avis des armateurs, la prospérité de la profession n’a guère servi leur intérêt dans les négociations. Les groupes de marine marchande français ont en effet enregistré ces deux dernières années des bénéfices records du fait de l’explosion des taux de fret.

Tabous. Toutefois, Armateurs de France se dit satisfait d’un texte qui offrira enfin « un cadre juridique clair » et se félicite du virage opéré par les syndicats sur le principe d’un second registre en France. Alors que la naissance du registre TAAF en 1986 avait été l’objet d’une opposition irrévocable, « la CGT s’apprête à donner son aval à un texte rompant avec le principe du "tout-français", c’est une vraie révolution culturelle », estime un responsable d’Armateurs. Cette « résignation » syndicale advient au moment où tombent, en France, les derniers tabous sur l’emploi d’étrangers dans le secteur. Après France Télécom, qui avait décidé en octobre d’embarquer des Malgaches à la place de Français sur les câbliers de sa filiale France Télécom Marine (mettant à profit huit ans après les possibilités du registre TAAF), une autre entreprise publique cède aux sirènes du marin étranger. Gaz de France, avec sa filiale GazOcéan, souhaite faire appel à des marins philippins sur ses prochains navires. Des négociations sont en cours avec les syndicats, portant sur le nombre de marins français à bord et non sur le principe du « dépavillonnage »... Preuve que la profession tout entière est résolue à ce constat : dans la marine mondialisée, une entreprise française ne peut plus vivre avec uniquement des marins français.

Par Cédric MATHIOT

© Libération

[1Ces pourcentages s’appliquent à des équipages compris en gros entre 12 et 25 personnes, portant la présence française entre 3 et 5 personnes.

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