Extraits tirés de La Tribune, France, 17 février 2003.
On considérera bientôt avec une curiosité attendrie le particulier qui acquitte l’impôt sur les revenus d’épargne, ou la firme multinationale normalement taxée sur ses revenus d’activité. Comment résister à la tentation de frauder le fisc, lorsqu’il suffit de suivre la foule vers d’accueillantes échappatoires, ces paradis fiscaux et autres centres offshore où pas moins de 5000 milliards de dollars [1] ont élu domicile ? Des dollars pour la plupart acquis très proprement, dans des activités licites, par des firmes ayant pignon sur rue et par d’irréprochables pères de famille que les infrastructures, services publics et autres avantages sociaux de leur pays enthousiasment d’autant plus qu’ils n’en supportent pas la charge. (...)
Régimes fiscaux préférentiels. L’Europe n’a jamais été très pressée d’en finir avec les paradis fiscaux et autres échappatoires. (...) [Des régimes fiscaux préférentiels] fourmillent dans l’Union européenne, où presque chaque pays membre a sa spécificité. (...) A eux tous, ces petits coins de paradis forment un grand parapluie. Pour échapper à l’impôt, une multinationale ira nicher chaque maillon de sa propre chaîne à l’endroit adéquat : services financiers en Irlande, centres de coordination, de distribution et de services en Belgique, succursales financières aux Pays-Bas, holding au Luxembourg, quartier général en France... Ces régimes font penser à du braconnage, puisque leur principale fonction est de vider l’assiette fiscale du voisin. Mais ce n’est pas du braconnage spontanné. « De nombreux régimes fiscaux préférentiels ont été mis en place en réaction aux pressions exercées par les milieux d’affaires sur les secteurs du gouvernement chargés de développement économique », avait écrit l’OCDE, cherchant à dessiller les intéressés [2]. Et elle y était presque arrivée puisque tous les pays membres, sauf la Suisse et le Luxembourg, se sont engagés à éliminer leurs régimes préférentiels d’ici au 31 décembre 2005.
Mais l’Union européenne vient d’agir exactement comme si elle avait voulu torpiller ce résultat. Dans son accord du 21 janvier, elle allonge unilatéralement le délai consenti à ses propres régimes préférentiels : jusqu’en 2010 pour les revenus étrangers en Irlande, les centres de coordiantion en Belgique (...)
Paradis fiscaux. La même question se pose à propos de l’autre chantier ouvert par l’OCDE, en 1996, et que l’accord européen menace de refermer : les paradis fiscaux. (...) L’(...)accord du 21 janvier dispense trois pays membres de tout échange de renseignements fiscaux, même à la demande : Autriche, Belgique et Luxembourg. (...) L’accord européen est conditionné à une coopération avec le Lichtenstein, Monaco et Andorre : trois paradis fiscaux qui refusent de coopérer avec l’OCDE. Enfin l’accord européen prévoit un accord avec la Suisse qui, comme le Luxembourg, la Belgique et l’Autriche, prélèverait à la source 35 % des revenus de l’épargne, plutôt que de trahir son secret bancaire en pratiquant l’échange de renseignements fiscaux. Mais un tel prélèvement sera-t-il réellement et systématiquement opéré derrière l’épaisse muraille du secret bancaire ? Il suffirait, pour y échapper, de transférer son argent dans la filiale asiatique de sa banque suisse. (...)
Par Jean-François COUVRAT