Survie

La tuberculose, parent pauvre de la lutte contre le sida

Publié le 24 mars 2005 - Survie

Libération, France, 24 mars 2005.

A l’échelle planétaire, les estimations annuelles sont impressionnantes : 9 millions de nouveaux cas de tuberculose, 1,7 million de décès. « Près de cinq mille morts par jour, l’équivalent de quinze gros avions qui s’écrasent », traduit le Dr Léopold Blanc, qui présentait hier le rapport 2005 sur la tuberculose de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), à la veille de la journée mondiale consacrée à cette maladie infectieuse [1]. Mais c’est de loin sur le continent africain, où tuberculose et sida sont étroitement imbriqués, que la situation est la plus dramatique. Au point que des ONG, comme Médecins sans frontières [2], n’hésitent pas à remettre ouvertement en cause la stratégie de lutte antituberculeuse de l’OMS, engagée au milieu des années 90.

Scandale. Le bilan 2005 a de quoi faire frémir. « Depuis dix ans, le nombre de malades tuberculeux a été multiplié par 4 à 5 en Afrique ; et par un facteur 6 à 7 dans les pays les plus touchés par le sida, précise le Dr Léopold Blanc. Sur ce continent, la tuberculose progresse de 4 % par an, alors qu’elle est stable ou en régression dans la plus grande partie du monde. » En clair, l’épidémie de sida a fait flamber la tuberculose, et l’Afrique doit désormais faire face à un couple infernal : jusqu’à la moitié des malades vivant avec le VIH contractent la tuberculose, qui est devenue la première cause de mortalité dans le sida.

Le scandale, ajoute le représentant de l’OMS, « c’est qu’aujourd’hui seulement la moitié des malades ont accès à un traitement efficace » : « Nos outils sont hélas très rudimentaires. » Dans la stratégie de l’organisation onusienne, la détection des cas repose en effet sur l’examen direct des crachats, à la recherche du bacille de Koch. Or ce test reste négatif dans plus de la moitié des cas de tuberculose, en particulier chez les enfants et les malades coinfectés par le VIH. Pour l’OMS, l’urgence est un doublement du budget, actuellement de l’ordre de un milliard d’euros. Cela permettrait de « stimuler la production de nouveaux outils de diagnostic et de traitement », et de renforcer les structures et le personnel de santé, argumente Léopold Blanc. MSF ­ qui prend en charge 2 600 tuberculeux dans seize projets ­ est beaucoup plus virulent. « Les outils diagnostiques et les traitements sont obsolètes et inefficaces », estime l’ONG dans un communiqué, rappelant que le test de diagnostic a été élaboré il y a cent vingt-trois ans, et les médicaments, conçus il y a cinquante ans. Mais c’est surtout contre le principe du DOTS ­ « traitement de courte durée sous supervision directe » ­ que s’insurge l’ONG. Pendant toute la durée du protocole (au moins six mois), les patients doivent venir quotidiennement au dispensaire chercher leurs médicaments. Nécessaire soutien du malade, plaide l’OMS, pour s’assurer de la bonne observance et éviter la survenue de dramatiques résistances aux antituberculeux. Infantilisation inutile et qui ne tient pas compte des réalités, estime MSF, rappelant que des patients habitent couramment à plusieurs heures de marche du centre de santé... « L’expérience du sida nous a montré que les malades étaient capables de prendre correctement leurs antirétroviraux tout seuls, et qu’un suivi mensuel était suffisant, martèle la Dr Annick Hamel, responsable MSF de la campagne d’accès aux médicaments essentiels. Si on leur fait confiance pour les antirétroviraux, on peut leur faire confiance pour des antibiotiques. »

« Dogme OMS ». Alors, depuis quelques mois, l’ONG est passée outre le « dogme OMS ». Les équipes sur le terrain n’hésitent pas à confier à leurs patients les comprimés d’antituberculeux pour un mois. Et même à traiter les malades fortement suspects de tuberculose, mais dont le test est négatif. Premiers résultats de cette stratégie dans quelques mois, promet MSF. Sous l’oeil attentif de l’OMS, qui est prête, selon Léopold Blanc, à revoir sa politique si l’expérience MSF se montrait « performante ».

Par Sandrine CABUT

© Libération

a lire aussi