Survie

Soweto, de l’apartheid au sida

Publié le 11 octobre 2004 - Survie

Extraits tirés d’un article de L’Express, France, 11 octobre 2004.

(...) Rejoice Stone compte parmi les rares séropositifs d’Afrique du Sud à bénéficier d’un traitement gratuit. (...) Rejoice Stone est sauvée. Mais pas sa sœur cadette, qui habite la même township, et attend toujours que le gouvernement mette à exécution ses promesses électorales. Le président Thabo Mbeki avait en effet juré, à la veille du scrutin d’avril dernier, que 500 000 malades recevraient, pour la première fois, des antirétroviraux payés par l’Etat. « Ma sœur voit que je me porte de mieux en mieux, tandis qu’elle tombe toujours plus bas, raconte cette employée de 29 ans, en fixant ses pieds. Parfois, je voudrais échanger ma place contre la sienne. » Les défenses immunitaires de la plus jeune sont très faibles. Son taux de lymphocytes CD 4 est bien inférieur au seuil qui implique la mise sous traitement : 38 CD 4 par millimètre cube de sang, au lieu de 200. Lors de sa dernière consultation à l’hôpital, le médecin s’est contenté de lui donner un rendez-vous pour le mois suivant. Aucune assurance concernant la distribution d’antirétroviraux. Pas même une liste d’attente sur laquelle inscrire son nom. Rejoice Stone s’inquiète pour l’avenir de son neveu, séronégatif, comme pour celui de sa propre fille. « Moi, je veux être là le jour où mon bébé rentrera à l’école », dit-elle en relevant la tête.

« Les gens continuent à mourir. Le changement de discours du gouvernement ne s’est pas traduit dans les faits ! »

Des familles écartelées. Un suspense macabre autour de l’arrivée des antirétroviraux. A l’image de ces deux sœurs, c’est toute l’Afrique du Sud qui s’engage dans une période de transition à haut risque. Ce pays est le plus touché au monde, avec 5,3 millions de malades. Impossible de mettre sous traitement, du jour au lendemain, tous ceux qui sont au stade avancé de la pathologie. Alors, qui sauver parmi tous ces patients condamnés ? Sur quels critères objectifs les choisir ? Le gouvernement s’est bien gardé de répondre à cette question pour l’instant. (...)

Les hôpitaux partent de zéro. Médecins et infirmières n’ont jamais reçu de formation sur le sida. La plupart n’ont aucune expérience des trithérapies, ces combinaisons de trois antirétroviraux largement utilisés depuis 1996 dans les pays occidentaux. (...) Il existe pourtant, à Soweto, une équipe capable de relever le défi sur-le-champ. Un noyau dur d’insurgés de l’hôpital public qui ont su mobiliser, depuis huit ans, des donateurs du monde entier [1] pour financer une unité privée consacrée au sida. Caché derrière les murs de brique de l’hôpital Baragwanath, ce service de pointe fait figure d’ovni au sein d’un établissement à bout de souffle, censé desservir une population équivalente à celle de Paris intra-muros (au moins 2 millions d’habitants). Là, 270 personnes sont déjà sous trithérapie, avec un soutien psychologique à la clef. Un grand nombre sont, comme Rejoice Stone, des employés de l’unité.

A l’origine, cet avant-poste sur le front de la pandémie a été créé pour sauver les bébés de Soweto. Désespérés de voir naître de plus en plus de nourrissons infectés par leur mère séropositive, un gynécologue-obstétricien et une pédiatre avaient décidé d’agir. L’Unité périnatale de recherche sur le VIH (PHRU) était née. Chaque année, 30 000 femmes enceintes s’y présentent pour subir un test sanguin. Près de 1 sur 3 se révèle positive et reçoit des médicaments destinés à éviter la transmission du virus au foetus. Mais le Pr James McIntyre et le Dr Glenda Gray n’en sont pas restés là. Comment se satisfaire, en effet, de voir ces enfants tirés d’affaire devenir orphelins ? Les deux obstinés ont donc monté un premier programme, expérimental, pour mettre des mères sous trithérapie. Ils s’apprêtent maintenant à passer à la vitesse supérieure : 1 000 malades supplémentaires devraient être pris en charge dans les douze mois à venir.

Après les bébés, les mères. Et après les mères ? La logique désigne les pères. L’équipe de l’Unité périnatale vient en effet de décider de soigner des familles au complet, au lieu de continuer à saupoudrer des crédits insuffisants sur des individus éparpillés sous différents toits. Pour des raisons à la fois d’efficacité et d’humanité. « Prendre tous les jours des médicaments quand vos proches en sont privés est une situation insupportable, souligne le Pr McIntyre, qui connaît d’autres patients vivant les mêmes tourments que Rejoice Stone. La tentation est grande de partager ses comprimés, ce qui rend le traitement inactif, voire dangereux. » Cette politique de préférence familiale n’évite évidemment pas l’arbitraire, puisqu’il faut bien désigner les foyers bénéficiaires. Ni, par conséquent, les problèmes de conscience que se posent les médecins. « Mais les cimetières de Soweto sont déjà pleins, tranche le Dr Gray. La question n’est plus de savoir quelle est la meilleure façon de distribuer les médicaments. Elle est de les distribuer. Et vite. »

(...)

Par Estelle Saget, envoyée spéciale

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[1Parmi lesquels US Agency for International Development, National Institute for Health, Ireland Aid, Elizabeth Glaser Pediatric Aids Foundation, Bristol-Myers Squibb, Boehringer-Ingelheim, Pfizer France.

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