Survie

Un choix criminel

Entre la protection des profits et la vie de millions d’êtres humains frappés par les pandémies, les Etats-Unis ont choisi.

Publié le 26 décembre 2002 - Jean-Luc Raharimanana

L’Humanité, France, 26 décembre 2002.

Editorial

Pierre Laurent

Comment faut-il qualifier la décision des Etats-Unis d’opposer leur veto à tout accord de l’OMC sur l’importation par les pays pauvres de la planète de médicaments génériques destinés à lutter contre le sida, la tuberculose, le paludisme et autres pandémies ? Comment la qualifier sinon de " criminelle " ? Les trois maladies citées font six millions de morts par an. Pour ne parler que du VIH, le rapport ONUSIDA, publié il y a quelques semaines, établit un constat alarmant. L’année 2002 aura été la plus noire de l’histoire de la maladie. 42 millions de personnes sont porteuses du virus dans le monde, un chiffre qui pourrait doubler d’ici à 2010. Plus de trois millions meurent chaque année, dont 610 000 enfants de moins de quinze ans. L’Afrique est dévastée par le virus. Il progresse à toute vitesse en Asie et en Europe orientale, où la pandémie pourrait très vite échapper à tout contrôle.

Or l’exemple brésilien, celui de quelques programmes conduits en Afrique montrent que la production, l’importation et la distribution de médicaments génériques à bas prix peuvent faire sensiblement reculer la mortalité. Encore faut-il laisser des pays produire ces génériques et surtout accepter que d’autres, les plus pauvres, puissent les importer. Selon le réseau Health Action International, 120 des 133 pays en développement sont concernés, car dépourvus d’industries pharmaceutiques. On estime à six millions de personnes contaminées le nombre de ceux qui auraient besoin d’un traitement par antirétroviraux pour échapper à une mort programmée. 99 % des patients africains n’y ont pas accès aujourd’hui.

En novembre 2001 à Doha, après bien des tergiversations, la conférence de l’OMC, sans régler définitivement le problème, avait laissé la porte ouverte à un accord sur l’importation dans le tiers-monde des génériques nécessaires au traitement des pandémies [1]. Un an plus tard, les Etats-Unis viennent de la refermer brutalement. Les lobbies pharmaceutiques ont gagné. Entre la protection des brevets et leurs profits, et la vie des millions de femmes, d’enfants, d’hommes condamnés à la mort, parce qu’ils ont eu la malchance de naître dans des pays déshérités, ils ont choisi. C’est tout simplement révoltant.

Ce scandale en met en lumière un autre : la manière dont sont conduites, à l’abri de tout véritable contrôle citoyen et démocratique, les négociations de l’Organisation mondiale du commerce. On sait combien les Américains, qui rêvent d’imposer sans contraintes leur loi économique et leur puissance financière, s’emploient à les décrédibiliser. Raison de plus pour mener ces discussions au grand jour, en s’appuyant sur les opinions publiques internationales et non en les tenant à l’écart. Le 10 décembre dernier, le député communiste Jean-Claude Lefort interpellait ainsi le commissaire européen Pascal Lamy et le ministre délégué au Commerce extérieur François Loos sur les conditions dans lesquelles ils exercent leur mandat dans ces discussions. Dans sa lettre, le député alertait sur le dossier de l’AGCS, cet accord qui, dans le cadre de l’OMC, entend régir les services et vise à plus ou moins long terme leur libéralisation. En effet, alors que l’échéance pour la communication à l’OMC des listes de demandes de libéralisation a été fixée au 30 juin 2002, depuis cette date, les listes communiquées, et notamment les demandes faites par l’Union européenne, sont tenues secrètes !

Il est temps, dans des domaines aussi vitaux pour l’avenir de la planète, que soit instauré un contrôle démocratique et transparent dans les négociations de l’OMC. Parce que le monde n’appartient pas aux multinationales. Parce que la vie ne vaut pas moins cher à Ouagadougou, Calcutta, ou Rio qu’à New York ou Paris.

© L’Humanité

[1Note BPEM : la déclaration de Doha précisait que "ledit accord peut et doit être interprété et mis en oeuvre d’une manière qui appui le droit des membres de l’OMC de protéger la santé publique et, en particulier, de promouvoir l’accès de tous aux médicaments". Cela donnait clairement la priorité aux patients sur les brevets des firmes de l’industrie pharmaceutique. Un aspect essentiel fut laissé de côté : la garantie qu’un pays qui produit sous licence pharmaceutique puisse exporter vers un pays qui a obtenu une licence obligatoire mais ne dispose pas des moyens de producion ? L’OMC avait donné pour mandat au conseil des Adpic de trouver une "solution rapide à ce problème et de faire rapport au Conseil général avant la fin de 2002".

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