Survie

Ouganda : six salariés de notre association partenaire AFIEGO en garde à vue

L'équipe de l'ONG ougandaise AFIEGO, en mai 2021.
Publié le 23 octobre 2021 - Les Amis de la terre, Survie

Hier, six salariés de notre association partenaire AFIEGO, dont son directeur Dickens Kamugisha [1], ont été arrêtés à Kampala en Ouganda. Il s’agit de l’une des quatre organisations ougandaises parties à l’action en justice lancée contre Total en France. Depuis plusieurs mois, AFIEGO est la cible de pressions et intimidations incessantes de la part des autorités ougandaises, qui veulent l’empêcher de continuer ses activités contre le méga-projet pétrolier de Total, en défense des communautés affectées et de l’environnement. Les Amis de la Terre France et Survie demandent leur libération immédiate, et appellent les autorités françaises à agir concrètement pour aider à faire cesser ces persécutions répétées contre les défenseurs des droits humains en Ouganda.


update du 26 octobre 2021
Les six salarié.e.s d’AFIEGO ont été libérés sous caution, lundi 25 octobre, après plus de 72h de détention. Bien que libérés, ils sont actuellement poursuivis par le gouvernement, et doivent reporter régulièrement auprès de la police.
Le gouvernement français n’a pris aucune position publique concernant ces arrestations ni des menaces et harcèlements à l’encontre des ONG et activistes travaillant autour des impacts des projets pétroliers de Total.


Les six salariés d’AFIEGO arrêtés hier sont toujours détenus au commissariat de Kiira dans la capitale ougandaise. Les charges retenues contre eux ne sont pas encore connues. Parmi les personnes arrêtées se trouvent une mère allaitante et une personne nécessitant un traitement médical. Ces arrestations font suite à une première arrestation, puis libération sous caution, de plusieurs salariés d’AFIEGO le 13 octobre 2021. En mai dernier, les Amis de la Terre France et Survie avaient déjà lancé l’alerte au moment de l’arrestation d’un salarié d’AFIEGO dans la zone pétrolière, alors qu’il accompagnait une journaliste italienne.
Ces nouvelles arrestations font partie d’actes répétés de harcèlement et persécution d’AFIEGO de la part des autorités ougandaises. Connue pour ses activités en défense des droits humains et de l’environnement, notamment contre le méga-projet pétrolier de Total, AFIEGO fait partie des 54 ONG dont la suspension a été annoncée par le NGO Bureau [2] le 20 août dernier, dans un contexte de répression croissante de la société civile. Cette instance n’a pourtant aucune autorité sur AFIEGO et cette suspension ne repose sur aucun fondement juridique, comme communiqué par les avocats d’AFIEGO au NGO Bureau.
Dans les derniers mois et plus gravement dans les dernières semaines, les pressions contre AFIEGO se sont fortement intensifiées, alors que le méga-projet pétrolier de Total s’accélère :

  • Le 6 octobre 2021, la police s’est rendue au bureau d’AFIEGO à Hoima, dans la zone pétrolière, et a arrêté une salariée, finalement relâchée après plusieurs heures passées au commissariat d’Hoima ;
  • Le 7 octobre 2021, plusieurs policiers ont débarqué au bureau d’AFIEGO à Buliisa, toujours dans la zone pétrolière, ordonnant de le fermer dans les deux heures, de même que les bureaux de notre partenaire NAVODA, et de l’association communautaire ORGHA (Oil and Gas Human Rights Defenders Association). Maxwell Atuhura, le salarié qui avait été arrêté en mai, a été brièvement détenu, et quelques jours plus tard, les panneaux de l’association ont été vandalisés ;
  • Le 14 octobre 2021, la police a arrêté et détenu 30 heures en garde à vue Mugisa Kahero, président de l’association ORGHA, dont certains membres travaillent avec AFIEGO pour défendre les droits des communautés affectées par le projet pétrolier Tilenga, développé par Total. Mugisa Kahero a de nouveau été arrêté mardi 19 octobre au matin, alors qu’il venait de se rendre au commissariat comme exigé lors de sa libération sous caution quelques jours avant. Il a été transféré à la prison de Masindi dans l’attente d’une date d’un hypothétique procès.
  • Hier, le 22 octobre 2021, dans le district de Kyotera, la police a arrêté et détenu Robert Biriyume, un défenseur des droits humains, membre des communautés affectées par le projet d’oléoduc EACOP développé par Total, mobilisé pour la défense du droit à la terre. Il a été libéré sous caution, et est poursuivi pour “incitation à la violence, sabotage du programme du gouvernement et rassemblement illegal”.

Dans son communiqué rendu public ce matin, AFIEGO dénonce : « Il y a un effort coordonné pour faire taire les voix critiques qui s’élèvent contre la destruction de l’environnement et les violations des droits des communautés affectées par les projets pétroliers. (…) L’arrestation des salariés d’AFIEGO et de leurs partenaires vise à faire taire l’organisation et les autres voix critiques ». L’association indique également : « Dans une lettre adressée au NGO Bureau, AFIEGO a promis de le poursuivre en justice si le harcèlement d’AFIEGO et de son équipe ne cessait pas ».
En avril 2020, quatre rapporteurs spéciaux des Nations Unies avaient déjà alerté sur la situation des défenseurs des droits humains dans la région pétrolière : « Nous craignons en outre que le harcèlement dont ils font l’objet n’empêche d’autres personnes ougandaises touchées par le projet pétrolier de Total Uganda d’exercer leurs droits à la liberté d’opinion et d’expression ». Des rapporteurs spéciaux des Nations unies ont de nouveau interpellé les gouvernements français et ougandaisen juillet 2021, sans réponse à ce jour.
Dix jours après la sortie de leur nouvelle enquête Comment l’Etat français fait le jeu de Total en Ouganda, les Amis de la Terre France et Survie appellent le président Emmanuel Macron, le ministère des Affaires étrangères et Jules-Armand Aniambossou, ambassadeur de France en Ouganda, à montrer qu’ils ont la volonté de se placer du côté des droits humains en dénonçant publiquement ces arrestations et persécutions répétées contre les défenseurs des droits humains mobilisés contre les projets pétroliers, et en agissant concrètement pour aider à obtenir la libération immédiate des salariés d’AFIEGO, et l’abandon de toute poursuite.

[1Dickens Kamugisha, directeur d’AFIEGO et avocat, est venu à deux reprises en France en 2019 dans le cadre du lancement de l’action en justice contre Total. Voir son interview TV sur France 24, et celle dans le journal des Amis de la Terre, la Baleine, dans laquelle il dénonçait déjà les persécutions envers la société civile et AFIEGO en particulier.

[2Le Bureau national des ONG (NGO Bureau) est une administration semi-autonome relevant du ministère de l’Intérieur ougandais. Selon son site web, cette instance est censée “fournir un environnement favorable à l’empowerment du secteur des ONG”, et a pour mandat d ’"enregistrer, réglementer, contrôler, inspecter, coordonner et superviser toutes les opérations des ONG dans le pays”.

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