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Total Ouganda : des rapporteurs spéciaux de l’ONU interpellent la multinationale et les autorités gouvernementales

Publié le 23 juin 2020 - Les Amis de la terre, Survie

Le 23 juin 2020 – Un an après les révélations des Amis de la Terre France et Survie et la mise en demeure de Total SA [1], c’est au tour de plusieurs experts des Nations unies de s’inquiéter des atteintes graves et risques d’atteintes graves aux droits humains et à l’environnement engendrés par le méga-projet pétrolier de la multinationale française en Ouganda et Tanzanie. Ces derniers viennent de rendre publics leurs longs courriers interpellant Total et les autorités ougandaises et françaises [2].

Alertés par les Amis de la Terre France, Survie et leurs partenaires ougandais, ce sont ainsi quatre rapporteurs spéciaux de l’ONU [3] qui ont jugé la situation assez préoccupante pour s’emparer de ce cas. Dans leurs courriers adressés à Total ainsi qu’aux autorités ougandaises et françaises, ils s’inquiètent plus particulièrement des pressions et intimidations dont ont fait l’objet deux représentants des communautés affectées, suite à leur venue à Paris en décembre dernier à l’occasion de l’audience au tribunal judiciaire de Nanterre :

« Nous craignons en outre que le harcèlement dont ils font l’objet n’empêche d’autres personnes ougandaises touchées par le projet pétrolier de Total Uganda d’exercer leurs droits à la liberté d’opinion et d’expression. »

A ce sujet, ils interpellent de façon détaillée les autorités ougandaises sur les actions mises en oeuvre pour assurer la sécurité des deux témoins et mettre fin au harcèlement qu’ils subissent. Mais les experts des Nations unies demandent également des explications aux autorités françaises sur les mesures prises pour « s’assurer du respect par Total de la loi relative au devoir de vigilance ». Enfin, ils adressent une longue liste de questions à Total, concernant ses actions d’identification et prévention des risques d’atteintes graves aux droits humains et à l’environnement dans le cadre de ses activités en Ouganda.

« Cette interpellation des rapporteurs des Nations unies intervient alors que les violations des droits des communautés et de leurs représentants continuent. Six mois après la tenue de la première audience, les deux membres des communautés affectées en Ouganda continuent de subir des pressions. De ce fait, ils ont dû fuir leur village à plusieurs reprises [4], encore tout récemment, c’est totalement inacceptable !"s’indigne Thomas Bart, de Survie.

Demain mercredi 24 juin devait se tenir l’audience en appel dans le cadre du recours en référé qui oppose les associations à Total [5] . Cette procédure en appel fait suite à la décision du 30 janvier 2020 rendue par le tribunal judiciaire de Nanterre, qui s’était déclaré incompétent au profit du tribunal de commerce. En raison de la crise sanitaire, le juge a annoncé que la procédure se déroulerait sans audience. Il décidera demain s’il maintient cette décision, ou s’il ordonne le renvoi de l’audience à une date ultérieure.

Ce recours revêt une importance particulière car il s’agit de la toute première utilisation de la loi sur le devoir de vigilance. Les associations contestent la décision selon laquelle le tribunal de commerce serait compétent [6], et sont soutenues sur ce point par deux interventions volontaires déposées par ActionAid France, le CCFD-Terre Solidaire et le collectif Ethique sur l’étiquette, d’une part, et la CFDT, d’autre part.

Au vu de l’urgence sur le terrain, les Amis de la Terre France, Survie, et leurs quatre partenaires ougandais demandent également à la Cour d’Appel de Versailles de juger le fond de l’affaire. Les associations espèrent ainsi que le juge pourra reconnaître sans attendre la gravité des atteintes et risques d’atteintes aux droits humains et à l’environnement, et ordonner sous astreinte à Total de prendre des mesures concrètes pour y mettre fin.

« Total reprend ses activités après plusieurs mois de suspension. Ce sont aujourd’hui près de 90 000 personnes qui sont en train d’être chassées de leurs terres en Ouganda sans compensation juste et préalable, et des milliers d’autres sont menacées en Tanzanie. Il y a urgence à agir pour faire cesser cette situation ! » conclut Juliette Renaud, des Amis de la Terre France.
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Le 18 mai 2020, Total SA et Total EP Uganda ont chacun adressé un courrier de réponse à la communication conjointe des rapporteurs spéciaux des Nations unies. Ces éléments de réponse, qui viennent d’être rendus publics, nous paraissent insuffisants voire erronés. Il nous a donc semblé utile d’y apporter des commentaires que vous pouvez retrouver dans cette note : https://survie.org/IMG/pdf/analyse_critique_des_reponses_de_total_aux_rapporteurs_onu_-_juin_2020_ok.pdf


_ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ Rajout du 25/06/2020 Suite à décision de la cour d’appel de Versailles, l’audience est renvoyée au 28 octobre.

[1(1) Le 24 juin 2019, les Amis de la Terre France, Survie et quatre associations ougandaises - AFIEGO, CRED, NAPE / Amis de la Terre Ouganda et NAVODA - ont mis en demeure Total SA pour non respect de la nouvelle loi française sur le devoir de vigilance, dans le cadre du méga-projet pétrolier que la multinationale développe actuellement en Ouganda et Tanzanie. Leur enquête avait révélé comment des dizaines de milliers de personnes étaient en train d’être expulsées, et des milliers avaient déjà été privées de leurs terres avant même de recevoir une compensation. De plus, le projet, prévu au cœur de l’aire naturelle protégée des Murchison Falls, comporte des risques irréversibles pour l’environnement et le climat. Voir le site dédié : www.totalautribunal.org

[2Les courriers sont disponibles ici : - version française adressée aux autorités françaises - version anglaise adressée à Total SA et Total EP Uganda et aux autorités ougandaises .

[3David Kaye - Rapporteur spécial sur la promotion et la protection du droit à la liberté d’opinion et d’expression ; Githu Muigai - Président-Rapporteur du Groupe de travail sur la question des droits de l’homme et des sociétés transnationales et autres entreprises ; David R. Boyd - Rapporteur spécial chargé d’examiner la question des obligations relatives aux droits de l’homme se rapportant aux moyens de bénéficier d’un environnement sûr, propre, sain et durable ; Michel Forst - Rapporteur spécial sur la situation des défenseurs des droits de l’homme.

[4Voir l’interview dans Libération le 16 avril 2020 "Projet pétrolier de Total en Ouganda : « J’ai dû fuir mon village »" https://www.liberation.fr/terre/2020/04/16/projet-petrolier-de-total-en-ouganda-j-ai-du-fuir-mon-village_1785050

[5Suite à la mise en demeure, les six associations ont assigné Total en justice fin octobre 2019, et une première audience s’est tenue le 12 décembre 2019

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