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Total Ouganda : les associations se pourvoient en Cassation alors que le projet s’accélère

Publié le 12 avril 2021 - Les Amis de la terre, Survie

Le 12 avril 2021 - Alors que Patrick Pouyanné, PDG de Total, était hier en Ouganda pour signer trois accords clés avec les gouvernements ougandais et tanzanien pour son projet d’oléoduc géant EACOP, qualifiant la journée « d’historique » pour la compagnie et les deux pays [1], les Amis de la Terre France et Survie confirment se pourvoir en Cassation avec le dépôt cette semaine de leur mémoire ampliatif dans l’affaire dite « Total Ouganda ». Par ailleurs, au sein de la coalition internationale StopEACOP, les associations publient aujourd’hui un document détaillé démentant les récentes tentatives de Total de vanter sa responsabilité sociale et environnementale dans le cadre de ce méga-projet pétrolier.

Au lieu de répondre aux besoins urgents des communautés affectées et aux alertes répétées de la société civile, Total a concentré ses efforts ces dernières semaines sur une offensive de communication pour contrer publiquement l’opposition croissante que suscitent ses méga-projets pétroliers Tilenga et EACOP en Ouganda et en Tanzanie. Nos associations déplorent qu’une fois de plus la multinationale française semble plus préoccupée par son image que par les impacts destructeurs qu’ont ses opérations sur les droits humains, l’environnement et le climat dans ces deux pays, comme c’est le cas également au Mozambique, en Arctique ou en Birmanie.

Face aux dangers posés par ces projets, les Amis de la Terre France et Survie, aux côtés des associations ougandaises AFIEGO, CRED, NAPE et NAVODA, ont lancé en 2019 la première action en justice fondée sur la loi sur le devoir de vigilance des multinationales, afin de contraindre Total à élaborer et mettre en oeuvre de façon effective des mesures adéquates à même de faire cesser les violations des droits humains et prévenir de futures violations ainsi que des dommages irréversibles pour l’environnement et le climat [2]. Alors qu’en décembre 2020, la cour d’appel de Versailles avait décidé de renvoyer l’affaire devant le tribunal de commerce, nos associations confirment aujourd’hui se pourvoir en Cassation pour contester cette décision, qui nous semble à la fois contraire à l’esprit de la loi, potentiellement dommageable pour son application, mais aussi contraire à la jurisprudence de la Cour de cassation. ActionAid France-Peuples Solidaires, le CCFD-Terre Solidaire et le Collectif Éthique sur l’étiquette, partageant notre interprétation de la loi concernant la compétence du tribunal, se sont joints au pourvoi en cassation. De même, la CFDT a présenté un pourvoi connexe.

Nos associations regrettent que ces débats sur la procédure retardent fortement un premier jugement sur le fond, alors que des dizaines de milliers de personnes affectées en Ouganda et en Tanzanie ne peuvent plus cultiver librement leurs terres depuis plus d’un ou deux ans, conduisant, selon leurs témoignages, à des violations de leurs droits à l’alimentation, à l’éducation et à la santé.

Selon Thomas Bart de l’association Survie : « La signature ce week-end de trois accords-clé pour le projet EACOP marque une volonté claire d’accélérer le projet alors que de nombreuses organisations, tant au niveau national qu’international, continuent d’alerter sur les graves violations des droits humains qui se multiplient en Ouganda et en Tanzanie. De plus, les énormes risques environnementaux et climatiques de ces projets ne sont toujours pas pris en compte par la major pétrolière française ».

Juliette Renaud, des Amis de la Terre France poursuit : « Cela fait des années que nous soutenons des communautés affectées par les projets de Total dans différents pays, et Tilenga et EACOP sont un autre triste exemple de la façon dont ce géant pétrolier développe à marche forcée des projets inacceptables, pour faire des profits à tout prix. Ses efforts de greenwashing ne peuvent cacher la vérité sur le terrain : des milliers de familles ougandaises et tanzaniennes sont déjà privées de leurs moyens de subsistance pour faire place à ce projet climaticide, et les personnes qui osent s’y opposer sont la cible d’intimidations et pressions croissantes ».

La réalité des impacts sociaux et environnementaux des activités de Total dans ces deux pays est aujourd’hui remise en lumière par un nouveau document publié par l’Alliance #StopEACOP[3], dont font partie les Amis de la Terre France et Survie. Il s’agit d’une réponse détaillée à la publication récente par Total de plusieurs documents et déclarations sur son site web, qualifiant de « rigoureuses » ses stratégies d’évaluation et de réduction des risques environnementaux et sociaux pour les projets Tilenga et EACOP, et affirmant agir de manière « responsable et transparente » [4].

La note de l’Alliance StopEACOP, s’appuyant sur de nombreux rapports d’experts et d’organisations de la société civile ainsi que des pétitions des communautés [5], clarifie plusieurs formulations trompeuses mises en avant par Total afin de minimiser les impacts d’aspects clés, tel que le nombre de puits de pétrole qui seront forés dans le parc naturel des Murchison Falls [6], et le nombre de personnes affectées par les projets Tilenga et EACOP. Contrairement à ce que prétend la compagnie, plus de 100 000 personnes et des dizaines d’écosystèmes sensibles en Ouganda et en Tanzanie risquent de subir les conséquences des actions de la compagnie. La multinationale affirme également que 58 000 emplois, dont 11 000 emplois directs, seront créés par les projets dans les pays affectés, alors qu’en 2020 elle avait annoncé à Oxfam que seuls 4 000 emplois directs seraient créés, et cela seulement lors de la phase de construction qui ne dure que 3 à 4 ans. Une fois cette phase terminée, seuls 200-300 emplois permanents resteront [7].

Notes

[1] Voir les tweets de Patrick Pouyanné et de Total Ouganda, incluant des photos de la signature de ces trois accords.

[2] Voir la note des Amis de la Terre France et Survie sur la procédure judiciaire : Total Ouganda : première action en justice sur le devoir de vigilance des multinationales, ou en est-on ?, octobre 2020, ainsi que leur dernier rapport d’enquête : Un cauchemar nommé Total - Une multiplication alarmante des violations des droits humains en Ouganda et en Tanzanie, octobre 2020.

[3] L’Alliance StopEACOP, lancée publiquement en 2021, réunit des organisations ougandaises et internationales. Voir le site de la coalition : www.stopeacop.net, ainsi que la lettre ouvertequ’elle a coordonnée en février 2021, signée par 263 organisations, appelant 25 grandes banques mondiales à ne pas financer le projet EACOP. Vous pouvez retrouver leur communiqué de presse ici

[4] Voir le site web de Total : “TILENGA & EACOP : agir en toute transparence”, “TILENGA & EACOP : deux projets rigoureusement étudiés et évalués” et “ Ouganda Tanzanie : TOTAL agit en transparence sur les enjeux sociétaux et environnementaux du projet de développement des ressources du Lac Albert”, pages mises en ligne en mars 2021.

[5] Voir notamment les publications listées sur le site de l’Alliance StopEACOP : https://www.stopeacop.net/publications

[6] Dans sa déclaration du 8 mars, Total indique par exemple avoir « limité le nombre d’emplacements de puits à dix » au sein du parc national des Murchison Falls. Pourtant selon l’étude d’impact, il s’agit de 10 « plateformes de forage » qui seront situées dans le parc, correspondant à 132 puits (auquel 39 autres pourraient être ajoutés ultérieurement). Voir le document de la coalition #StopEacop pour l’ensemble des références, note 42.

[7] Oxfam, “Empty Promises Down the Line ? : A Human Rights Impact Assessment of the East African Crude Oil Pipeline,” pp. 67-68, septembre. 2020.

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