Depuis les indépendances de ses anciennes colonies africaines en 1960, la politique africaine de la France relève quasi-exclusivement du chef de l’État, conseillé par sa « cellule africaine », dont la localisation, au 2 rue de l’Élysée, souligne l’importance aux yeux du Président de la République. Dans les faits, les relations franco-africaines ne sont soumises à aucun contrôle parlementaire, tant sur le plan diplomatique et militaire (soutien aux dictateurs, accords de coopération militaire, interventions armées de la France sur le continent...) que sur le plan économique (aide publique au développement).
En outre, les décisions élyséennes en la matière sont largement influencées par de multiples réseaux officiels et officieux (État-Major, services de renseignements, milieux d’affaires), voire carrément occultes (loges maçonniques, etc.). Les conséquences de cette opacité du processus décisionnel sont une absence totale de lisibilité et surtout un grave déficit démocratique de la politique africaine de la France, qui a parfois conduit à de véritables tragédies, dont le paroxysme a été atteint en 1994 avec le génocide des Tutsi au Rwanda.
Dès 1958, la Constitution de la Ve république, taillée sur mesure pour le général De Gaulle, confère au Président de la République une liberté d’action quasi-totale en matière de relations internationales, considérées dès l’origine comme le « domaine réservé » du Président. Mais c’est au lendemain des indépendances africaines de 1960 que De Gaulle et son éminence grise Jacques Foccart mettent en place les nouveaux outils du contrôle politique, économique, monétaire et militaire sur les ex-colonies françaises. Ce système s’appuie en particulier sur les « 3 E », l’Élysée (et sa cellule africaine), l’État-major et Elf (entreprise créée par les services secrets français pour assurer, à n’importe quel prix, l’indépendance énergétique de la France). Si le système françafricain a largement évolué depuis, se ramifiant de plus en plus avec la multiplication de réseaux aux intérêts parfois contradictoires, ces trois piliers continuent tant bien que mal à « conduire » la politique africaine de la France [1].
Les présidents qui ont succédé au général De Gaulle se sont tous parfaitement accommodés d’un mode de gestion des relations africaines destiné à maintenir les anciennes colonies sous dépendance et marqué par le sceau du secret. Tous se sont appuyés notamment sur une « cellule africaine », sorte de gouvernement parallèle des Affaires africaines avec, à sa tête, des « Messieurs Afrique » influents, parfois spécialisés dans les basses besognes, à l’image du tristement célèbre Jacques Foccart [2].
Contrairement aux attentes des plus optimistes l’arrivée au pouvoir de François Mitterrand en 1981 n’a provoqué aucun changement notable dans ce domaine. Maintien des liens personnels avec les dictateurs africains, prépondérance présidentielle dans le domaine diplomatique, liens plus qu’ambigus avec les grandes entreprises nationales (dont Elf), François Mitterrand a poursuivi sans états d’âme la politique de ses prédécesseurs. Soucieux de garder la mainmise sur les affaires africaines, il place même son propre fils Jean-Christophe à la tête de la cellule africaine. Il accentue également la concentration des pouvoirs militaires avec la création en 1992 d’un commandement des troupes d’élites, le fameux Commandement des opérations spéciales (COS) [3], placé sous sa responsabilité directe.
A son entrée en fonction, Jacques Chirac s’est immédiatement inscrit dans la continuité des pratiques de ses prédécesseurs, rappelant même Jacques Foccart à son service dès 1995. Ami personnel de nombreux dictateurs africains qu’il n’a pas hésité à aider en cas de difficulté (validation d’élections truquées, interventions militaires, etc.), souvent entouré de conseillers impliqués dans d’obscures affaires politico judiciaires, défenseur d’une vision archaïque et paternaliste des relations franco-africaines, Jacques Chirac a parfaitement incarné la Françafrique durant ses deux mandats, sans être jamais inquiété ou même dérangé par l’action des « contre-pouvoirs » que sont censés être le Parlement, la Justice, ou encore la presse, face à la toute-puissance présidentielle en matière de politique africaine.
L’opacité de la politique de la France est à mettre en grande partie sur le compte de cette mainmise présidentielle, mais aussi sur l’action de réseaux et d’officines publics ou privés, voire carrément occultes, et aux intérêts parfois contradictoires, les fameux « réseaux de la Françafrique » décrits par François-Xavier Verschave [4].
Parmi les officines agissant dans le domaine public et particulièrement dans les relations franco-africaines figurent les services secrets français « classiques » : DGSE (contre-espionnage) et DST (surveillance du territoire, dont on peut s’étonner qu’elle soit si active en-dehors dudit territoire), auxquels sont venus s’ajouter les services de l’armée : la DRM (renseignement militaire, créée 1992) et la très secrète DPSD (sécurité militaire). Si l’existence de ces services pourrait sembler légitime, leur fonctionnement et leur financement restent opaques, à la limite du tabou, alors même que certains jouent un rôle-clé dans le maintien de régimes dictatoriaux par les renseignements qu’ils peuvent leur fournir.
Parmi les réseaux privés, citons les réseaux d’influence politico-affairistes, qui ont beaucoup participé par le passé au financement occulte des partis. On a pu parler de « réseau gaulliste » et « néo-gaulliste », de « réseau Mitterrand », de « réseau Pasqua », de « réseau Chirac » [5], etc. Si l’âge d’or de ces réseaux politico-affairistes semble révolu, des hommes politiques français (à droite, les Toubon, Madelin, Roussin ou encore Balkany, mais aussi à gauche, avec Rocard ou encore Attali), ainsi que des personnalités du monde de la communication ou du conseil, disposent encore de réseaux personnels plus ou moins importants et influents sur le continent africain [6]. Ceux-ci sont parfois liés à des réseaux franc-maçons, notamment à La Grande Loge Nationale de France, qui a initié la plupart des dictateurs de la Françafrique ainsi qu’un grand nombre de personnalités du monde des affaires.
Enfin, il faut insister sur la puissance des réseaux économiques, sans doute les plus actifs actuellement. En effet, si la collusion entre pouvoir politique et économique reste forte, on a l’impression que les rapports de domination tendent à s’inverser, dans un contexte de mondialisation effrénée et dérégulée où le pouvoir des États tend à s’atténuer face à celui des grands groupes. Le temps où l’Élysée contrôlait la direction d’entreprises comme Elf paraît déjà loin, et l’on constate au contraire que c’est aujourd’hui la diplomatie française qui met tout en œuvre pour défendre les intérêts de Bolloré, Bouygues, Areva ou Total, et non l’inverse (voir l’argumentaire APD).
Face à l’omnipotence présidentielle et à l’influence de plus en plus forte des réseaux sur la politique africaine, l’enchevêtrement des lieux de décision et des institutions et organismes en charge de la coopération n’arrange pas les choses. En effet, si la coopération franco-africaine se décide essentiellement à l’Élysée, on s’interroge sur la coexistence d’un si grand nombre de structures censées intervenir dans ce domaine : Ministère des Affaires Étrangères (à travers la Direction Générale de la Coopération Internationale et du Développement, devenue en 2009 Direction Générale de la Mondialisation et des Partenariats), Secrétariat d’État à la Coopération et à la Francophonie, Secrétariat d’État aux Droits de l’Homme [7], Agence Française de Développement, Ministère de l’Économie et des Finances (par l’intermédiaire du Trésor)... sans compter les structures interministérielles comme le Comité Interministériel de la Coopération Internationale et du Développement, qui s’est substitué en 1998 au Comité Interministériel d’Aide au Développement. La création en juin 2007 d’un ministère en charge de l’Immigration et du Co-développement (rebaptisé depuis « Développement Solidaire ») contribue encore davantage au manque de clarté du dispositif et à la dispersion des centres de décisions supposés.
Si les acteurs classiques de la diplomatie et de la coopération ont vu leurs rôles en partie clarifiés par la réforme de la coopération française menée par le gouvernement Jospin en 1997/98, ils restent malgré tout soumis à des décisions politiques prises arbitrairement au sommet de l’exécutif et pâtissent de l’interventionnisme souvent hasardeux des réseaux et de l’activisme des diverses diplomaties parallèles. Bien que le Ministère de la coopération, créé par De Gaulle en 1959 pour s’occuper, dans les locaux de l’ancien ministère des colonies, des relations avec les pays dits décolonisés, ait été rattaché en 2001 aux affaires étrangères pour tenter de masquer les « liens spéciaux » avec l’Afrique, ce rattachement n’est que de façade. La politique africaine de la France dépend toujours essentiellement de l’Élysée, comme au bon vieux temps. Il n’y a pas de signe plus explicite de la pérennité de la politique néocoloniale de la France.
Le manque de transparence et de lisibilité de cette politique se double d’un déficit de démocratie, matérialisé notamment par l’absence de contrôle parlementaire. Dans le domaine des opérations extérieures et de la coopération militaire, cette absence de contrôle est criante. Le Parlement, bien que disposant d’une commission permanente à la Défense, n’a que très rarement connaissance des accords de défense ou de coopération militaire passés avec les États africains. Il n’est consulté qu’en cas de déclaration de guerre, ce qui apparaît complètement désuet au vu de la forme prise par les conflits contemporains [8]. A titre d’exemple, les interventions de l’armée française en Côte d’Ivoire en 2002 et 2004, en Centrafrique en 2006-2007, et au Tchad en 2006 et 2008, n’ont nécessité aucune forme d’approbation du Parlement. Le manque d’outils parlementaires de contrôle et d’évaluation de l’APD, également constaté et déploré depuis de nombreuses années par les ONG et certains élus, apparaît comme un obstacle majeur à l’amélioration de cette aide souvent instrumentalisée et peu efficace (voir argumentaire APD). Concernant les négociations et organisations internationales, notons par exemple que ce n’est que depuis 1998, suite à une campagne menée par des ONG françaises, que le gouvernement a accepté de remettre un rapport annuel sur les positions de la France au sein du FMI et de la Banque mondiale.
Cette passivité des parlementaires s’explique en partie par des limites constitutionnelles (la Ve République n’est pas un régime parlementaire) mais aussi par une forme d’autocensure des parlementaires qui n’utilisent que très exceptionnellement les quelques ressources que la Constitution et les règlements du Parlement mettent à leur disposition. De l’aveu même d’un ancien député [9] « les parlementaires qui s’intéressent à l’Afrique en particulier et aux affaires étrangères en général sont peu nombreux […] quand nous nous retrouvions une petite trentaine dans l’hémicycle du Palais Bourbon pour traiter de ces questions, nous étions particulièrement heureux ». Celui-ci soulignait en particulier la nécessité pour le Parlement d’oser enquêter en la matière. « il y a une sorte de tradition du domaine réservé. La Défense nationale et les questions internationales relèveraient du domaine réservé du chef de l’État. Or, rien dans la Constitution n’empêche le Parlement de contrôler l’Exécutif dans ces secteurs. […] Il faut souhaiter le développement d’une culture de l’investigation qui appartient trop peu en politique étrangère et en Défense à nos traditions parlementaires : elle permettrait un vrai contrôle de l’exécutif par le législatif et ferait participer les parlementaires à la formation de l’opinion publique renforçant ainsi leurs liens avec les citoyens. »
Quelques timides initiatives sont tout de même à souligner comme allant dans le bon sens. En 1998, la création, certes tardive, d’une mission d’information parlementaire sur l’implication de la France dans le génocide Rwandais de 1994, fut une première dans ce domaine, même si ses pouvoirs d’investigation (inférieurs à ceux d’une commission d’enquête) et sa composition ont fait en sorte que les conclusions ont été parfaitement consensuelles. L’année suivante, un rapport d’information était publié par l’Assemblée Nationale sur le rôle des compagnies pétrolières dans la politique internationale et son impact social et environnemental [10]. Enfin, la commission des Affaires étrangères de l’Assemblée publiait en 2001 un rapport sur « les droits de la personne et la Francophonie » dénonçant les promesses non-tenues de la France en matière de conditionnalités démocratiques Mais force est de constater que l’impact de ces travaux est resté quasi-nul, tant sur l’opinion publique que sur la politique gouvernementale.
Ajoutons que la faiblesse du contrôle parlementaire sur les politiques de coopération est également manifeste à l’échelle européenne, le Parlement de l’Union Européenne jouant un rôle mineur dans ce domaine contrôlé par la Commission (qui gère le Fonds européen de développement à travers ses délégations). Cependant, les orientations de la politique européenne de coopération diffèrent parfois de celles de la France. Ainsi, dans le cas du Togo en 2005, ou plus récemment du Niger en 2009, l’UE a suspendu sa coopération pour exprimer respectivement son désaccord avec les conditions d’organisation de la présidentielle ayant conduit à la réélection frauduleuse de Faure Gnassingbé, et avec le coup d’État constitutionnel du président Tandja. Cependant, ces dispositions de l’UE n’ont pas été suivies par la France, pourtant considérée comme un moteur politique de l’Union. Au contraire, celle-ci a sciemment maintenu son aide au régime togolais, poursuivant ainsi une politique de soutien inconditionnel entamée dans les années 60 avec Eyadéma, et redoublé d’attention à l’égard du nigérien Tandja, ce qui a permis à Areva de signer d’importants contrats d’exploitation des immenses réserves d’uranium qu’abrite le pays. Malgré l’obstination de la France, ces quelques initiatives de l’UE sont à souligner comme des signes encourageants, en espérant que celle-ci saura à l’avenir mieux faire respecter ses décisions par ses propres membres.
L’omnipotence de l’exécutif et des réseaux en matière de politique africaine se double la plupart du temps d’une impunité judiciaire quasi-totale. Outre le président lui-même, qui bénéficie d’une immunité juridique dans l’exercice de ses fonctions, plusieurs affaires récentes ont clairement démontré la volonté politique de ne surtout pas faire la lumière sur l’implication des personnalités haut placées de la Françafrique. Ainsi l’intervention directe du pouvoir politique pour contrer le pouvoir judiciaire dans l’affaire des « disparus du Beach » avec la libération immédiate d’un officier supérieur congolais suspecté de crime contre l’humanité et mis en détention par un juge de Meaux enquêtant sur plainte de parents des victimes. De même, la récente affaire dite des « Biens mal acquis », visant plusieurs chefs d’États africains pour l’important patrimoine acquis en France par eux-mêmes où leur entourage grâce au détournement des fonds publics, a mis en évidence la volonté politique de torpiller ce genre d’initiative judiciaire. Ainsi, après avoir classé sans suite une première plainte en 2007, le parquet de Paris s’est à nouveau opposé à l’ouverture d’une information judiciaire suite au dépôt d’une seconde plainte en 2009. Plus inquiétant, cet avis émanant du représentant de l’exécutif au sein de la Justice a été suivi par les juges de la Cour d’appel, ce qui pose question quant à l’indépendance supposée de la Justice face au pouvoir politique.
L’affaire de l’Angolagate offre une autre illustration flagrante de cette indépendance très relative de la Justice face aux affaires françafricaines. Ainsi, le président Nicolas Sarkozy, soucieux d’améliorer les relations avec le désormais premier producteur de pétrole du continent, aurait personnellement assuré au président angolais Dos Santos que les investigations ne déboucheraient pas sur l’implication de nouvelles personnalités angolaises. Par ailleurs, on ne compte plus les cas flagrants d’ingérence politique dans ce dossier : intervention du MAEE pour faire lever les poursuites contre une société impliquée dans les ventes d’armes à l’Angola, courrier du Ministre de la Défense aux avocats des prévenus leur fournissant des éléments permettant de renforcer leur défense, ou encore réquisitoire du parquet demandant la remise en liberté de Pierre Falcone, accusé de trafic d’ armes et de détournements de plusieurs centaines de millions d’euro et condamné en première instance à six ans de prison ferme, au nom de « la présomption d’innocence » !
SI ces exemples montrent la détermination de la Françafrique à maintenir dans l’ombre un certain nombre d’affaires embarrassantes pour le pouvoir, ils témoignent tout de même à l’inverse d’une volonté des juges d’instruction de tenter de faire la lumière sur ces affaires obscures, malgré les incessantes tentatives d’intimidation dont ils sont victimes, comme celles dénoncées par le SRPJ dans l’affaire angolaise, à savoir « les destructions systématiques d’archives, les réticences des différents intervenants, leurs curieuses pertes de mémoire, et l’incapacité dont certaines banques ont fait preuve pour fournir l’intégralité des informations réclamées ». Mais la volonté actuelle de réforme du système judiciaire fait peser de fortes menaces sur la faible marge de manœuvre dont dispose encore la Justice pour enquêter sur ce type d’affaires. La suppression du juge d’instruction, réclamée avec de plus en plus d’insistance par le président Sarkozy, pourrait ainsi porter un coup fatal à ce qui reste de l’indépendance de la Justice dans notre pays.
Dans un discours prononcé à Cotonou en juin 2006 par un Nicolas Sarkozy encore ministre de l’Intérieur, mais où les accents de futur candidat à la présidentielle sont déjà perceptibles, celui-ci dénonçait avec fougue la politique africaine de ses prédécesseurs, et délivrait sa vision des futures relations franco-africaines : « D’abord, cette relation doit être plus transparente. Il nous faut la débarrasser des réseaux d’un autre temps, des émissaires officieux qui n’ont d’autre mandat que celui qu’ils s’inventent. Le fonctionnement normal des institutions politiques et diplomatiques doit prévaloir sur les circuits officieux qui ont fait tant de mal par le passé. Il faut définitivement tourner la page des complaisances, des secrets et des ambiguïtés. » Pendant la campagne présidentielle, Nicolas Sarkozy promettait même d’en finir avec le domaine réservé du chef de l’État en matière de politique africaine [11].
Au lendemain de son investiture, le nouveau président supprime effectivement le poste de conseiller Afrique de l’Élysée, désormais intégré au sein d’une cellule diplomatique sans spécificité géographique. Mais le choix des hommes (en l’occurrence Jean-David Levitte qui dirige cette cellule diplomatique, et son conseiller aux affaires africaines, le très chiraquien Bruno Joubert) contredit cet affichage de rupture. Dans les faits, Nicolas Sarkozy garde d’ailleurs la haute main sur la politique africaine, toujours en dehors de tout contrôle parlementaire. Le contrôle direct de l’appareil diplomatique par l’Élysée est renforcé par la création d’un Conseil de défense et de sécurité nationale (CNS) qui permet au président d’animer personnellement la politique étrangère et de coordonner les actions de renseignement dans le domaine international. Outre les questions diplomatiques, le CNS couvre les affaires militaires et les affaires africaines.
La volonté affichée de rupture du nouveau président a donné lieu, en juillet 2007, à la création d’une mission d’enquête parlementaire sur la politique africaine de la France, mais les espoirs suscités par cette initiative sont vite déçus. Si son président Jean-Louis Christ se défend de toute influence élyséenne, la participation à cette mission du sulfureux Patrick Balkany, ami personnel du président et parrain actif de la Françafrique actuelle, laisse peu d’illusions sur ce point. Malgré un nombre important d’auditions, la mission n’entendra ni Henri Guaino, ni Claude Guéant, pourtant considérés comme les conseillers les plus influents de Nicolas Sarkozy, en particulier sur les affaires africaines. On pouvait donc s’attendre à un résultat décevant, mais la première version du rapport final rédigé par Renaud Dutreil, connu pour son libéralisme et sa proximité avec les réseaux, est tellement complaisante à l’égard du pouvoir politique et des entreprises françaises que le président Jean-Louis Christ est contraint à monter au créneau dans les médias pour réclamer un nouveau texte. Mais loin de donner davantage de visibilité et d’efficacité à cette démarche, cette prolongation a débouché en décembre 2008 sur un rapport presque aussi décevant, dont la plupart des sujets sensibles ont été soigneusement écartés.
En outre, la réforme constitutionnelle annoncée avec tambours et trompettes en 2008 devait comporter, selon les propositions de la commission Balladur, des dispositions permettant de renforcer le contrôle parlementaire sur la politique africaine de la France. Cependant, les avancées en la matière sont restées extrêmement timides, voire cosmétiques. Ainsi, sur le plan militaire, l’article 35 du titre V prévoit désormais : « Le Gouvernement informe le Parlement de sa décision de faire intervenir les forces armées à l’étranger, au plus tard trois jours après le début de l’intervention. Il précise les objectifs poursuivis. Cette information peut donner lieu à un débat qui n’est suivi d’aucun vote. Lorsque la durée de l’intervention excède quatre mois, le Gouvernement soumet sa prolongation à l’autorisation du Parlement. Il peut demander à l’Assemblée nationale de décider en dernier ressort. » Le contrôle parlementaire ne s’exerce donc qu’a posteriori et uniquement sur les interventions les plus longues. Sont par ailleurs exclues de ces dispositions les interventions secrètes ou clandestines des forces spéciales (COS et service Action de la DGSE), véritables gardes prétoriennes de l’Élysée. L’absence de réaction parlementaire face à la dernière intervention militaire française au Tchad ou à l’adoubement du coup d’État électoral et dynastique d’Ali Bongo au Gabon est une bonne illustration de cette défaillance persistante du contrôle parlementaire sur la politique africaine de la France.
Enfin, force est de constater que « les réseaux d’un autre temps » et « les émissaires officieux » montrés du doigt par le futur président sont plus que jamais d’actualités Pour preuve, la décoration de la Légion d’Honneur offerte par Sarkozy à l’avocat Robert Bourgi, héritier politique de Foccart dont il fut très proche, considéré aujourd’hui comme l’homme de l’ombre de la diplomatie africaine de la France. De l’ombre ? Pas tant que ça, car l’intéressé a tout de même fini par céder quelque peu aux sirènes médiatiques. A l’approche de l’élection présidentielle gabonaise de 2009, il déclare dans la presse : « Au Gabon, la France n’a pas de candidat mais le candidat de Robert Bourgi c’est Ali Bongo, or je suis un ami très écouté de Nicolas Sarkozy ». Lors d’une intervention mémorable sur RTL, Bourgi se vante d’appeler Omar Bongo « papa », et relate par le menu comment le président gabonais a obtenu, par son intermédiaire, « la tête » de l’éphémère secrétaire d’État à la Coopération Jean-Marie Bockel, coupable d’avoir voulu « signer l’acte de décès de la Françafrique ». Répondant à une question sur l’interférence de son action avec celle de la diplomatie officielle du ministre des Affaires Étrangères, Bourgi déclare, avec une suffisance maligne, « il y a toujours eu des diplomaties parallèles ». En ce domaine, comme en beaucoup d’autres, la rupture annoncée n’est manifestement pas pour demain...
1. Pour une politique africaine de la France plus transparente :
-* Fin du « domaine réservé » du chef de l’État en matière de politique africaine, incarné par l’influence prédominante des conseillers Afrique de la Cellule diplomatique de l’Élysée ;
2. Pour un réel contrôle parlementaire de la politique africaine de la France :
3. Pour une justice plus forte et indépendante
[1] Elf ayant été absorbée depuis sous l’ « écran » Total pour atténuer l’effet désastreux des multiples affaires sur l’image du groupe
[2] Lire Jacques Foccart, Foccart parle, entretiens avec Philippe Gaillard, Fayard - Jeune Afrique (Tome I publié en 1995, Tome 2 publié en 1997)
[3] Son action au Rwanda, avant et pendant le génocide, s’est avérée particulièrement critiquable. Lire L’Inavouable, de Patrick Saint-Exupéry, éd. Les Arènes, 2004
[4] La Françafrique, le plus grand scandale de la République, de François-Xavier Verschave, éd. Stock, 1998
[5] ibid
[6] Cf. Les Sorciers Blancs, Enquête sur les faux amis français de l’Afrique, de Vincent Hugeux, éd. Fayard, 2007
[7] Dont la durée de vie étonnamment courte (à peine 2 ans) a montré l’incontournable contradiction qu’il incarnait face à la diplomatie française
[8] Lire le rapport parlementaire sur la réforme de la coopération militaire présenté par le député Bernard Cazeneuve à la Commission de la Défense de l’Assemblée nationale le 20 novembre 2001
[9] En l’occurrence l’ancien député PS de Gironde Pierre Brana
[10] Rapport présenté le 13 octobre 1999 par la députée Marie-Hélène Aubert. En ce qui concerne la France, la mission dénonçait « l’opacité des relations entre l’Etat et les compagnies pétrolières », appelant de ses vœux « une gestion plus transparente des relations entre la France et l’Afrique au nom de l’éthique et au nom des intérêts de la France et de ses entreprises dans ces pays »
[11] Le Monde, 17 mai 2007