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Génocide des Tutsi du Rwanda : Survie « ramène » au ministère des Armées une caisse d’armes pour interpeller Emmanuel Macron

Crédit photo Survie
Publié le 5 avril 2018 - Survie

Alors que les rescapés du génocide des Tutsi du Rwanda s’apprêtent à commémorer ce samedi le 24ème anniversaire du début des massacres, des militants de Survie ont interpellé ce jeudi 5 avril le président et le gouvernement français en mettant en scène le retour d’une fausse caisse d’armes et de munitions expédiées par Paris pendant le génocide. L’association demande au président que ses premières annonces à ce sujet soient à la hauteur des enjeux : il faut désormais une reconnaissance officielle du soutien que les autorités françaises ont apporté à un régime génocidaire.

48 heures avant les 24èmes commémorations du début du génocide des Tutsi du Rwanda, l’association Survie, mobilisée contre la Françafrique, a organisé la remise symbolique au ministère de la Défense de l’époque d’une caisse factice d’armes et de munitions françaises. Les gendarmes présents au 14 rue Saint-Dominique ont donc été pris à témoins d’une forme de retour par la Poste (pour motif de « non distribution ») d’une des caisses d’armements que la France a acheminées en 1994 à destination d’un régime allié, alors même qu’il commettait un génocide [1]. Comme les gendarmes sur place ont refusé de réceptionner ce colis, les militants de l’association l’ont ensuite apportée au siège du Parti Socialiste rue de Solférino, pour suggérer de profiter du déménagement pour faire l’inventaire de la politique de François Mitterrand au Rwanda. Il s’agissait pour l’association d’illustrer concrètement le soutien politique, économique et militaire que notre pays a apporté, et que l’État français devrait désormais reconnaître.
Pour Fabrice Tarrit, co-président de Survie : « C’est le président Emmanuel Macron qui a désormais la responsabilité de reconnaître officiellement, au nom de la France, que les autorités de notre pays ont soutenu et armé un régime "ami" quelles qu’en soient les conséquences. Ce soutien, déjà incompréhensible avant le génocide, ne s’est pas démenti pendant les massacres, ni même après ». Il ajoute « L’État devra bien le reconnaître : on ne peut pas attendre plus de 50 ans, comme pour la participation active des autorités françaises dans la déportation de Juifs pendant la Seconde guerre mondiale ! » [2].
Ce soutien à ceux qui commettaient le génocide des Tutsi a pris différentes formes : politique, diplomatique, militaire (livraisons d’armes et de munitions, recours à des mercenaires)... Il a été apporté en connaissance de cause, de manière active, et a eu un effet sur les crimes commis : cette politique constitue juridiquement une complicité de génocide, l’intention génocidaire n’étant pas nécessaire à cette qualification. Une reconnaissance officielle de ce soutien aux auteurs d’un génocide amènera, logiquement, à demander des comptes aux décideurs civils et militaires qui ont mené cette politique.
« Comment comprendre que des responsables politiques de l’époque comme les ministres Alain Juppé et François Léotard ou encore le secrétaire général de l’Elysée Hubert Védrine, n’aient jamais été inquiétés ? Et surtout que l’Amiral Lanxade, le Général Quesnot et le Général Huchon sont partis à la retraite avec tous les honneurs, sans jamais rendre des comptes à la justice ? », s’étonne Fabrice Tarrit. « Ces trois responsables militaires étaient respectivement chef d’état-major des armées, chef d’état-major particulier du président et chef de la mission militaire de coopération : ils ont eu, avec le président François Mitterrand, toutes les cartes en main pour continuer ou arrêter de soutenir un régime "ami" qui commettait le crime des crimes. Des responsables français ont opté pour un soutien direct, avec l’opération Turquoise qui a gelé la ligne de front, et un soutien indirect, avec des mercenaires corsaires de la République comme Bob Denard ou Paul Barril » [3].
Emmanuel Macron a l’opportunité historique de reconnaître officiellement, sans faux-fuyants, qu’un tel appui a été décidé et exécuté en toute connaissance de cause – d’autant que pour la première fois depuis 1994, aucun des partis de gauche et droite qui gouvernaient ensemble à cette période de cohabitation n’est actuellement au pouvoir. Le président le doit d’abord aux victimes et aux rescapés du génocide, mais aussi aux citoyens français, afin d’ouvrir le nécessaire débat sur le fonctionnement des institutions de la Vème République [4].

La caisse ramenée par Survie le 5 avril 2018
Survie "ramène" au ministère de la Défense de 1994, 14 rue Saint-Dominique à Paris, une (fausse) caisse d’armements expédiés en 1994
Survie "ramène" au ministère de la Défense de 1994, 14 rue Saint-Dominique à Paris, une (fausse) caisse d’armements expédiés en 1994
Survie ramène une des caisses d’armes expédiées en 1994 au Rwanda au siège du Parti socialiste, en proposant de profiter du déménagement pour revenir sur le bilan de François Mitterrand

[1Entre 1990 et 1993, des responsables politiques et militaires français ont fait le choix de maintenir et de renforcer leur soutien à un régime « ami », celui du président Juvénal Habyarimana, malgré les alertes et les premières accusations très précises concernant des massacres de Tutsi et la préparation d’un possible génocide (Voir par exemple l’intervention de Jean Carbonare le 28 janvier 1993 au journal de 20h de France 2. Pour une synthèse de ces signaux, voir « Rwanda : chronique confidentielle d’un drame annoncé », D. Servenay, Le Monde, en ligne le 16 mars 2018 / Le Monde, daté du 17 mars).
Après l’assassinat du président Habyarimana dans la nuit du 6 au 7 avril 1994, l’Élysée, des membres du gouvernement de cohabitation, et les autorités militaires ont maintenu leur soutien, pendant et après le génocide, au gouvernement intérimaire rwandais qui le perpétrait. Le discours officiel a depuis cherché à masquer ce choix plutôt qu’à le remettre en cause. En dépit de dénégations de principe, le caractère hautement condamnable de la politique menée au Rwanda est devenu tellement évident ces dernières années que les autorités actuelles sont pressées de toutes parts de faire enfin la lumière sur le rôle « troublant » de la France (« Faire la clarté sur le rôle de la France au Rwanda », éditorial du Monde, en ligne le 17 mars 2018 / Le Monde, daté 18-19 mars), notamment par l’ouverture des archives et la libération de la parole des acteurs de l’époque

[2Discours du président Jacques Chirac aux commémorations de la rafle du Vél’ d’Hiv’, en juillet 1995.

[3Voir le rapport « Le crapuleux destin de Robert-Bernard Martin : Bob Denard et le Rwanda » publié par Survie en février 2018. Concernant la « stratégie indirecte » recommandée par le général Quesnot au président Mitterrand dans une note datée du 6 mai 1994, voir en particulier les pages 25 à 27 de la version mise à jour le 20 février.

[4Voir par exemple l’annexe 2 du rapport « Le crapuleux destin de Robert-Bernard Martin : Bob Denard et le Rwanda », op.cit., sur les « "avancées" du droit et des pratiques depuis 1994 », pp. 34-37.

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