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Rwanda : nouvel écran de fumée autour de l’attentat du 6 avril 1994 ?

Publié le 12 juillet 2013 - Groupe Rwanda

Deux anciens hauts dignitaires rwandais, Faustin Kayumba Nyamwasa et Patrice Karegeya, ont accordé, le 9 juillet dernier, un entretien à Sonia Rolley, journaliste à RFI [1]. Au-delà de leur critique de la dérive personnelle du pouvoir de Paul Kagame, ils portent une fois nouvelle fois une accusation que l’on croyait aujourd’hui décrédibilisée : le Front Patriotique Rwandais [2] aurait abattu l’avion du président Habyarimana, le 6 avril 1994.

Cette accusation a été largement utilisée par certains journalistes et responsables politiques français pour faire oublier l’implication de l’Etat français dans le génocide des Tutsi. Attribuer l’attentat au FPR permettait à certains de suggérer que ce mouvement aurait provoqué le génocide en suscitant le désir de venger le président Habyarimana et la "colère spontanée" des Rwandais hutu contre leurs compatriotes tutsi.

Il convient donc d’abord de rappeler que le génocide des Tutsi est le fruit d’une longue préparation par le régime rwandais de l’époque, appuyé par les autorités françaises. L’attentat n’est en aucune façon la cause du génocide. Il en est tout au plus le signal du déclenchement.

La thèse de la culpabilité du FPR, qui était celle du juge Bruguière, a été avancée par plusieurs témoins qui se sont ensuite dédits ou montrés incapables de produire la moindre preuve de ce qu’ils avançaient. Nyamwasa et Karegeya n’apportent aujourd’hui pas plus d’éléments vérifiables et recoupables. Par ailleurs, contrairement à ce qu’ils affirment, le juge Trévidic, aujourd’hui en charge de l’instruction, a proposé, il y a plusieurs mois, à l’un d’entre eux de le rencontrer à Paris pour recueillir son témoignage, mais l’intéressé ne s’est jamais manifesté. Il en faudra donc davantage - à commencer par la publication des preuves promises - pour contester les enquêtes solidement étayées qui ont pointent la responsabilité des extrémistes hutu, peut-être aidé par des Français, dans l’attentat. [3]

Enfin, il faut que l’armée française, qui a enquêté immédiatement sur le terrain suite à l’attentat, publie son propre rapport d’enquête. En 1994 pendant plus d’un mois elle a été seule avec les FAR [4] a avoir accès au lieu du crash . Garder secret ce document entretient les suspicions sur le rôle éventuellement joué dans cet attentat par des acteurs français (militaires ou mercenaires) ou par les personnes que la France a soutenues au sein du régime génocidaire.

[2La rébellion à majorité tutsi

[3Citons l’ouvrage de Philippe Brewaeys, Noirs et blanc menteurs (éditions Racine, Bruxelles, avril 2013). Ou encore le documentaire de Catherine et Philippe Lorsignol, Rwanda. L’enquête manipulée, diffusé par la RTBF. Le journaliste Mehdi Ba avait déjà, en mars 2012, mené une critique solide invalidant la thèse d’un attentat commis par le FPR. A lire aussi dans Billets d’Afrique : « Branle-bas de combat autour d’un rapport qui dérange »

[4Forces Armées Rwandaises, armée du régime génocidaire

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