Communiqué, le 22 février 2010
À l’occasion du déplacement de Nicolas Sarkozy à Kigali le 25 février 2010, l’association Survie tient à décrypter ce qui constitue un profond revirement de la diplomatie française dans la région des Grands Lacs, et tient à alerter l’opinion sur le fait que ce revirement reste fort éloigné d’une véritable réforme de la politique de la France sur le continent.
Par ce rapprochement avec le Rwanda, entamé il y a deux ans et consacré par cette visite, la diplomatie française vise trois objectifs :
Les diverses étapes du rapprochement entre les deux pays ont été l’objet d’une négociation serrée entre les deux États, dont l’un des enjeux majeurs fut l’accusation de complicité de génocide des Tutsi du Rwanda pesant sur la France [1]. Il est à redouter que l’arrangement trouvé se contente au mieux d’une excuse officielle et solennelle ou de la reconnaissance d’erreurs de la France diluées au sein de celles de la communauté internationale.
En aucun cas, une simple contrition orale ne pourrait suffire à mettre sous le boisseau ce qui demeure comme l’un des plus grands scandales de la Vème République. Le soutien politique, militaire, financier de la France à un gouvernement génocidaire ne peut se dissoudre dans de quelconques excuses.
La solennité d’une déclaration ne peut se substituer au nécessaire débat qui doit être mené dans notre pays sur sa politique en Afrique, et sur le rôle de son armée au Rwanda en 1994, comme en cinquante ans de présence sur le continent.
En effet, en 2009, malgré un volontarisme de façade de l’Elysée, les termes de la cooptation de la France sur des gouvernements profondément anti-démocratiques n’ont guère évolué (Cameroun, Congo-Brazzaville, Mauritanie, Madagascar, Gabon, Niger, etc.). Le rapprochement Paris-Kigali s’inscrit dans cette filiation, car il pèse sur Paul Kagamé de graves soupçons sur le rôle tenu par son pays dans les conflits du Kivu voisin depuis 1998, ainsi que sur les nombreuses entraves à la démocratie relevées sous son autorité au Rwanda.
Il apparaît donc que ce « dégel » entre les deux pays ne s’encombre d’aucune condition démocratique. En revanche, il vise une nouvelle fois à positionner la France et ses entreprises dans la compétition internationale qui se joue pour l’accès aux ressources naturelles de la région, au mépris de la justice pour les victimes du génocide et des autres crimes commis.
De ce fait, Survie tient à prévenir des risques de la normalisation en cours, qui pourraient s’assimiler à une amnistie mutuelle pour des crimes imprescriptibles, hors de tout contrôle des peuples concernés et sans tenir compte de l’intérêt des populations de la sous-région.
Contact presse :
– Stéphanie Dubois de Prisque, Chargée de communication - Tel. : 01 44 61 03 25, stephanie.duboisdeprisque@survie.org
[1] Lire notamment La complicité de la France dans le génocide des Tutsi du Rwanda. 15 ans après, 15 questions pour comprendre, Survie, L’Harmattan, avril 2009.