Survie

Bisesero : réouverture inattendue d’un dossier judiciaire emblématique des complicités françaises au Rwanda

Publié le 13 juillet 2022

Les juges d´instruction en charge du dossier « Turquoise 1 » concernant une éventuelle complicité de militaires français dans le génocide des Tutsis, à Bisesero et au camp de réfugiés de Murambi [1], se sont fait remettre le 23 juin 2022 une synthèse du rapport Duclert, demandée le 3 juin à un assistant spécialisé du pole antiterroriste du tribunal judiciaire de Paris. Par cet acte, les juges rouvrent contre toute attente un dossier emblématique que la justice cherchait depuis quatre ans à clore.

Le 22 avril 2021, dans le cadre des dispositions de l’article 175 du code de procédure pénale, les parties civiles demandent aux juges d’instruction de poursuivre l’information judiciaire, notamment après que le rapport de la commission Duclert a été rendu public [2]. Ce rapport contient de graves révélations sur les responsabilités politico-militaires françaises à l’œuvre avant, pendant et après le génocide. Jusqu’à présent, ces responsabilités « lourdes et accablantes », selon le rapport, ont été écartées volontairement du champ des investigations par les différents juges saisis depuis le 23 décembre 2005.

Pour le Parquet, l’affaire est entendue : il faut clore le dossier. Un réquisitoire définitif aux fins de non-lieu en date du 28 avril 2021 est donc notifié aux parties civiles qui, un mois plus tard, adressent aux juges d’instruction des observations complémentaires et motivées au vu dudit réquisitoire.

Il s’écoule ensuite une année, durant laquelle les parties civiles craignent de se voir notifier une ordonnance de non-lieu par les juges d’instruction. Mais finalement, le 3 juin 2022, une réquisition « à assistant spécialisé » des juges d’instruction manifeste et officialise la réouverture du dossier : « il apparaît nécessaire à la manifestation de la vérité de poursuivre l’instruction en exploitant dans un premier temps ce rapport. » Le travail demandé à l’assistant spécialisé est de procéder à une « synthèse » du rapport Duclert, et non à son analyse critique et aux conséquences pénales qu’il faut en tirer.

Juridiquement, la procédure reprend et toutes les demandes d’actes et observations deviennent recevables alors qu’elles ne l’étaient plus après l’expiration des délais de l’article 175 du code de procédure pénale. Les parties civiles estiment que le rapport Duclert est de nature à rendre bien fondées des demandes d’audition ou d’investigations complémentaires même si celles-ci ont été rejetées jusqu’à présent. Elles se réjouissent de cette volte-face tardive des juges d´instruction, plus d´un an après la publication du rapport Duclert.

Il est nécessaire de reprendre rapidement les investigations à l´état-major des armées (les auditions de l´amiral Lanxade et de son adjoint avaient été refusées par les juges en 2017), ainsi qu´au cœur du pouvoir politique de l’époque c’est-à-dire au cabinet du Président de la République, notamment, en procédant à l’audition détaillée du général Christian Quesnot, dirigeant l’Etat-major particulier du chef de l’État, et à l’audition d’Hubert Védrine en sa qualité de secrétaire général de l’Élysée durant le génocide des Tutsis.

[1] Pour plus de détails sur ces événements, voir le dossier que la LDH, la FIDH et Survie ont publié en mai 2022 : https://survie.org/IMG/pdf/annexe_cp_bisesero_11_mai-2.pdf

[2] Suite à une décision de l’Elysée en avril 2019, une commission de recherche sur les archives françaises relatives au Rwanda et au génocide des Tutsi (1990-1994)" a été nommée. Présidée par l’historien Vincent Duclert, elle a remis son rapport au chef de l’État en mars 2021. Voir notamment : https://survie.org/billets-d-afrique/2021/306-avril-2021/article/un-rapport-necessaire-mais-insuffisant

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