Le 21 mai 2025, les sénateurices français-es examineront le projet de loi de ratification du nouveau traité militaire avec Djibouti, à l’occasion d’une procédure accélérée engagée par le Gouvernement français, visiblement pressé de solidifier son partenariat. Suite aux départs forcés successifs de plusieurs pays du continent, l’exécutif d’Emmanuel Macron concentre ses efforts sur le redéploiement de l’armée française vers la Corne de l’Afrique au profit de la "stratégie française pour l’Indo-Pacifique". À cette occasion, Elisabeth Borrel interroge les parlementaires sur la relation souhaitée avec la violente dictature d’Ismaïl Omar Guelleh, à la lumière des obstructions dans l’affaire de l’assassinat en 1995 de son mari, Bernard Borrel.
Ces derniers mois, la réduction "drastique" des effectifs du dispositif militaire français à deux bases permanentes en Afrique a fait l’objet d’un débat binaire et restreint : tantôt signe d’humiliation, tantôt indicateur d’un renouveau historique dans les relations entre la France et l’Afrique. Contrairement aux éléments français au Gabon en mutation vers 200 formateurs [1], les 1500 effectifs à Djibouti ont été épargnés par les diminutions : intégrée aux ambitions impérialistes françaises dans la zone Indopacifique, la base permanente la plus importante met en évidence la volonté des autorités françaises de maintenir coûte que coûte leur influence militaire.
Pour une base vouée à rester un « point de projection pour certaines de nos missions africaines » [2], le loyer méritait bien d’être augmenté de plus de 50% pour atteindre les 85 millions d’euros annuels. Impatient de renouveler cet accord de coopération en matière de défense, l’exécutif ne pouvait souffrir d’un parcours de loi classique pour ratifier le traité signé le 24 juillet dernier : saisi-es en procédure accélérée, les sénateurices discuteront le projet de loi de ratification en séance publique ce 21 mai. Hasard du calendrier, c’est quasiment une date anniversaire : c’est en effet le 20 mai 1896 que Djibouti est devenue le haut-lieu de la colonie française des Somalis. Dans une étude d’impact pour le projet de loi, Jean-Nöel Barrot, Ministre des Affaires Étrangères et de l’Europe, résume les raisons stratégiques qui poussent Paris à maintenir son pacte avec le dictateur Ismaïl Omar Guelleh, à la tête du pays depuis 1999 et réélu à plus de 98% des voix lors de la dernière élection présidentielle de 2021 :
"Situé au carrefour du continent africain, de l’océan Indien et de la péninsule arabique, Djibouti constitue un point d’appui stratégique pour la France, militairement présente dans le pays depuis son indépendance en 1977. [...] [Djibouti] est la seule base française à l’étranger disposant de capacités maritimes, aériennes et terrestres permanentes et d’un état-major interarmées, ce qui favorise la mise en œuvre d’opérations militaires réactives. Cette singularité sera accentuée à l’issue de l’adaptation du dispositif militaire français en Afrique de l’ouest et centrale, marquée par une sortie progressive de la logique des « forces de présence » et une réduction significative de notre empreinte militaire dans ces régions." [3]
Pour permettre à la Chambre haute de discuter de manière éclairée de ce partenariat, Élisabeth Borrel, épaulée par ses fils, propose de revenir sur le dossier d’instruction sur l’assassinat de son mari Bernard Borrel en 1995. Une affaire résumée dans Une histoire de la Françafrique. L’Empire qui ne veut pas mourir (Points, 2023).
Coopérant français, le magistrat Borrel enquêtait notamment sur l’attentat du « Café de Paris »., où une grenade lancée dans ce troquet du centre de la ville de Djibouti, fréquenté par la communauté française, avait causé la mort d’un jeune Français et fait dix-sept blessés. Après avoir défendu la thèse du suicide malgré des éléments prouvant un homicide, les autorités françaises ont mis des années à reconnaître un assassinat en service. La reconnaissance par le Procureur de la République française d’un crime, confirmé par la dernière autopsie, n’a pas débouché sur un procès. Responsables djiboutiens et français n’ont de cesse de faire entrave à la vérité et à la justice [4]. Un déni bien utile pour une alliance typiquement françafricaine...
L’affaire Borrel fait partie de celles portées par le collectif Secret Défense – un enjeu démocratique, dont Survie est membre pour les dossiers concernant les responsabilités françaises dans le génocide des Tutsis au Rwanda. Le collectif Secret Défense cherche à mettre en lumière des affaires criminelles et d’État non résolues, dans lesquelles l’État français, au lieu d’assumer ses responsabilités, use de manœuvres diverses pour entraver la recherche de la vérité par les familles, les chercheurs et pour empêcher que justice soit rendue aux victimes.
Pour aller plus loin, retrouvez les articles de Survie sur Djibouti.