Ce lundi 14 septembre, le Président français reçoit à l’Élysée le dictateur gabonais Ali Bongo, dont la visite en juillet 2012 avait provoqué le scandale, symbolisant le renoncement de François Hollande à son engagement de campagne [1]. Alors que les responsables de ce régime policier sont empêtrés dans des affaires judiciaires en France, l’Elysée, dans sa recherche de soutiens à la COP21, offre au dictateur gabonais l’occasion de se relégitimer en France. Un resserrement des liens qui tombe à pic pour défendre les positions économiques des entreprises françaises au Gabon et les intérêts stratégiques de Paris en Centrafrique.
Après 5 ans de pouvoir d’Ali Bongo, le Gabon, qui incarne depuis toujours la Françafrique [2],se trouve dans une situation catastrophique : les violations des Droits de l’Homme sont en augmentation [3], notamment à l’approche de la présidentielle dont les conditions d’organisation sont déjà dénoncées par la société civile gabonaise. Les pratiques du clan Bongo ayant provoqué une importante crise politique, économique et sociale au Gabon, le régime a besoin de la caution française pour se maintenir au pouvoir. En juin dernier, Manuel Valls et Jean-Yves Le Drian avaient déjà ouvert leurs portes au chef de l’État gabonais, alors que celui-ci était l’un des invités d’honneur du salon du Bourget.
En France, Ali Bongo et plusieurs personnalités de son entourage sont menacés par différentes affaires judiciaires : de la plus célèbre d’entre elles, celle des Bien Mal Acquis, à la récente interpellation du directeur de cabinet d’Ali Bongo. Ce véritable n°2 du régime, interpellé à Roissy le 3 août dans une enquête pour corruption, doit sa libération à Laurent Fabius, qui a mobilisé les services du ministère des Affaires étrangères pour le soustraire aux questions des enquêteurs français [4].
Ces affaires ne semblent pas embarrasser l’Elysée, qui souhaite s’assurer que les dictateurs françafricains s’aligneront sur la position française lors de la COP21 [5], et met en avant le prétexte de sa préparation pour cette « visite de travail et d’amitié ». Mais le climat des affaires et les intérêts stratégiques français restent par ailleurs au coeur des préoccupations franco-gabonaises. Les entreprises françaises commencent à subir la concurrence d’autres entreprises [6] et sont de plus en plus décriées par la population gabonaise, notamment pour la pollution dans le secteur extractif [7]. D’autre part, le probable report de l’élection présidentielle en Centrafrique rend nécessaire un soutien de Libreville à la position de Paris sur la transition politique dans ce pays de la sous-région, où l’armée française est toujours déployée [8].
Pour Thomas Noirot, de l’association Survie, « c’est une ironie criminelle de voir un dictateur à la tête d’un pays pétrolier et forestier dont l’environnement est systématiquement sacrifié au profit d’intérêts économiques particuliers, et où les droits humains sont bafoués, servir de faire-valoir à la posture internationale prétendument écologiste de la France ».
L’association Survie dénonce cette nouvelle réception du dictateur gabonais à l’Elysée et s’indigne que le pouvoir politique entende ainsi apaiser le scandale provoqué par les affaires en cours devant les tribunaux français, au nom d’intérêts économiques et géopolitiques tricolores.
[1] A cette occasion, une pétition de Survie demandant à François Hollande de ne pas recevoir Ali Bongo avait recueilli plus de 60 000 signatures
[2] Après la mort en 2009 d’Omar Bongo, resté au pouvoir 41 ans, une mascarade électorale et la répression dans le sang de toute contestation permirent à son fils de prendre la tête du régime gabonais (Voir « Bongo à perpétuité », Billets d’Afrique n° 189, octobre 2009)
[3] Des journaux ont été censurés et l’ONG Reporters Sans Frontières a dénoncé, les 9 janvier et 7 mai derniers, l’arrestation ou l’exil de journalistes menacés. De nombreux leaders syndicalistes ne touchent plus aucun salaire depuis plusieurs mois, et les assassinats politiques défraient la chronique, comme ceux de deux militants du principal parti d’opposition, retrouvés morts en juin et début septembre, après avoir très vraisemblablement subi des tortures (http://echosdunord.com, 7/09).
[4] Lire « L’affaire Accrombessi plombe (encore) la relation avec Paris. Fabius à la rescousse », La Lettre du Continent, n°712, 2 Septembre 2015.
[5] Fin août, Ségolène Royale s’est déjà rendue à Libreville pour évoquer l’ambition française d’obtenir un accord lors du sommet sur le climat de décembre prochain. En 2009 déjà, avant le Sommet de Copenhague, Nicolas Sarkozy avait donné une conférence de presse commune avec les dictateurs Paul Biya, Denis Sassou Nguesso, Idriss Déby, François Bozizé. Voir « Sommet de Copenhague : Sarkozy enrôle les pays africains du bassin du Congo », Le Parisien, 16 décembre 2009)
[6] Les relations économiques étaient ainsi le sujet central lors de la visite d’Ali Bongo en avril 2014 ("Ali Bongo demande à la France plus de coopération économique", RFI, 8 avril 2014 )
[7] Voir par exemple le rapport « État des lieux environnemental. Rivière la Moulili Aval de Moanda » de l’ONG Brainforest ou encore les deux dernières pollutions aux hydrocarbures en décembre 2014 et en en avril dernier à Port Gentil, pour lesquelles Total est pointée du doigt par les riverains
[8] En Centrafrique comme au Mali, la France tente d’obtenir des élections au plus vite, qui marqueraient selon elle la fin (improbable) de la crise. Voir « Si tu veux la paix, prépare des élections » dans Billets d’Afrique, n°249, Septembre 2015.