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Livraisons d’armes au Rwanda pendant le génocide des Tutsis : Survie porte à nouveau plainte et se constitue partie civile

Publié le 29 juin 2017 - Survie

L’association Survie a déposé le 28 juin une nouvelle plainte concernant les livraisons d’armes par des responsables politiques et militaires français au gouvernement génocidaire rwandais en 1994. En se constituant partie civile, elle entend parvenir à l’ouverture d’une enquête judiciaire : la première plainte avait été classée sans suite au motif que seule la Cour de Justice de la République pourrait instruire cette affaire. Cette nouvelle étape judiciaire intervient alors qu’une des premières grandes lois voulues par Emmanuel Macron entend justement supprimer la Cour de Justice de la République.

L’association Survie, qui milite pour l’assainissement de la politique africaine de la France [1], avait déposé une première plainte contre X visant « les responsables politiques et militaires français » en fonction en 1994 pour des livraisons d’armes juste avant puis pendant le génocide des Tutsis, le 2 novembre 2015 [2]. Dans le cadre des premières investigations menées, le vice-procureur de la République a auditionné Hubert Védrine, Secrétaire général de l’Élysée au moment des faits, en lui demandant notamment de s’expliquer sur ses déclarations passées : Hubert Védrine avait en effet reconnu dans un écrit les livraisons au début du génocide [3], puis avait réitéré cet aveu devant la commission Défense de l’Assemblée nationale [4].

La plainte a cependant été classée sans suite en septembre 2016, le procureur du pôle crimes contre l’humanité, crimes et délits de guerre ayant en effet considéré que l’éventuelle responsabilité pénale du Président de la République – au demeurant décédé – ne pouvait être recherchée qu’en cas de haute trahison [5], tandis que celle des ministres relève de la Cour de Justice de la République [6]. Un argumentaire que conteste Me Akorri, avocate de l’association Survie : «  Je pense que ces motifs procèdent d’une appréciation erronée de la plainte et d’une application inexacte des dispositions légales. Notamment parce que la plainte, contre X, ne visait pas exclusivement des membres du gouvernement, mais également différents collaborateurs de l’exécutif ou membres de l’armée. Ainsi, au stade actuel de la procédure, où il convient déjà de faire la lumière sur les responsabilités individuelles, le tribunal de grande instance de Paris est bien la bonne juridiction pour connaître des faits incriminés. »
L’association Survie a donc déposé une nouvelle plainte, cette fois-ci avec constitution de partie civile.

Vingt-trois ans après le génocide des Tutsis du Rwanda, durant lequel plus de 800 000 Tutsis furent exterminés méthodiquement, l’association entend ainsi poursuivre son combat pour la vérité et la justice. Pour Fabrice Tarrit, co-président de Survie, «  Nous avons une responsabilité collective envers les victimes, celle de faire toute la lumière sur cette page sombre de notre histoire, et de faire juger les responsables.  » Nos responsables politiques et militaires ont en effet apporté en toute opacité un soutien ahurissant, d’abord à un régime qui commettait des crimes contre l’humanité, puis à un régime génocidaire.
Il poursuit : « A l’heure où on nous parle du renouvellement de la politique, il est flagrant de voir que les mécanismes institutionnels qui ont rendu possible la complicité de la France dans le génocide sont toujours en place : la fonction présidentielle ne souffre d’aucun contrôle et le Président bénéficie d’une totale impunité pénale quels que soient les actes qu’il commette dans l’exercice de ses fonctions – ce qui en miroir rend politiquement acceptables les pires crimes d’État ».

L’association Survie, qui tire un bilan très négatif du quinquennat de François Hollande et de sa promesse en trompe l’oeil d’ouverture des archives sur le Rwanda [7], attend de voir si le nouveau président de la République, qui avait lors de la campagne reconnu la dimension criminelle de la colonisation, brisera enfin cette loi du silence concernant le dernier génocide du XXe siècle.

[1L’association Survie, créée début 1985, milite depuis les années 1990 contre la Françafrique et agit notamment sur le plan judiciaire pour mettre fin à l’impunité dont bénéficient les complices du génocide des Tutsis du Rwanda. Pour l’association, il s’agit surtout d’empêcher que l’horreur puisse survenir à nouveau.
Or, malgré la gravité des faits qui montrent l’échec du fonctionnement de nos institutions, il n’y a quasiment eu aucune autocritique ni volonté réelle de changer celles-ci depuis 1994 :
- Le Président de la République n’est pas justiciable alors qu’il est, dans les faits, un - si ce n’est le - responsable réel de l’exécutif, et cette affaire le prouve. Les ministres étant pénalement responsables des actes accomplis dans l’exercice de leurs fonctions et ayant, le cas échéant, à rendre compte devant la justice, comment peut-on justifier que ce ne soit pas le cas du Président de la République, une fois son mandat révolu ? L’absence de débat autour de cette problématique est particulièrement choquante à l’heure où le gouvernement prévoit de supprimer la Cour de Justice de la République...
- Le Président de la République ne rend de compte à personne, puisque le parlement ne contrôle pas l’ensemble de l’exécutif mais le seul gouvernement (Art. 24 de la Constitution) – et ce même en période de cohabitation où le Président de la République s’arroge pourtant l’essentiel de la politique étrangère et de la politique militaire (sans d’ailleurs que la Constitution ne le prévoit véritablement).
- Le contrôle parlementaire est de fait quasi-inexistant : au-delà de l’absence de tout contrôle institutionnel sur l’Élysée, il y a également une extrême faiblesse du contrôle sur les services et les opérations extérieures.
Tout ceci crée les conditions d’une politique secrète par une poignée de responsables, comme celle tenue au Rwanda en 1994. Et depuis, presque rien n’a changé.

[2Voir « Rwanda : la France est visée par une plainte pour complicité de génocide  », Thomas Cantaloube, Mediapart, 3 novembre 2015 ; et « Une plainte de Survie vise des responsables français pour complicité dans le génocide des Tutsi au Rwanda », communiqué de l’association Survie, 3 novembre 2015

[3Cf. Hubert Védrine, « Rwanda : les faits », La Lettre de l’Institut François Mitterrand, n°8, 15 juin 2004, : « des livraisons d’armes ont continué après le début des massacres : les dernières livraisons d’armes à l’armée rwandaise contre l’offensive ougando-FPR ont continué quelques jours après le début des massacres, mais bien sûr ceux-ci n’ont pas eu lieu avec des armes françaises »

[4Voir l’extrait vidéo de l’audition (1’45’’) et « Rwanda : lettre ouverte aux parlementaires suite à l’audition d’Hubert Védrine », association Survie, 17 juin 2014. Il est à noter que dans le compte-rendu établi par la commission Défense présidée par Patricia Adam, les éléments qui permettent de comprendre que M. Védrine parle de livraisons ayant eu lieu après le début du génocide ont été gommés (pour la « transcription » officielle, voir http://www.assemblee-nationale.fr/14/pdf/cr-cdef/13-14/c1314044.pdf, p.12).
Hubert Védrine vient pas ailleurs d’être nommément mis en cause par le journaliste Patrick de Saint Exupéry (« Réarmez-les ! », revue XXI, n°29, 28 juin 2017) pour avoir confirmé et cautionné une directive auprès des officiers français les sommant de fournir des armes aux génocidaires en déroute et réfugiés dans l’est de l’ex-Zaïre.

[5Conformément à l’art. 68 de la Constitution dans la rédaction en vigueur en 1994. Depuis, cette mention a été supprimée mais le principe d’immunité du Président de République pour les actes accomplis en cette qualité a été confirmé (révision constitutionnelle du 23 février 2007).

[6Conformément à l’art. 68-1 de la Constitution.

[7Sur le bilan du quinquennat Hollande et sa promesse d’avril 2015 concernant les archives, voir François Graner, « Archives : Blocages réels, avancées concrètes », Billets d’Afrique n°266 mars-avril 2017. Selon un haut fonctionnaire ayant eu accès aux archives, certains documents compromettants pour des personnes françaises ont été conservés sous le sceau du secret : voir Mehdi Ba, « Rwanda : quand les militaires français recevaient l’ordre de venir en aide aux génocidaires en débandade », Jeune Afrique, 19 juin 2017).
Le Secret défense, encore opposé aux chercheurs et aux journalistes qui cherchent à faire la lumière sur la politique française au Rwanda à l’époque, empêche également les juges instruisant plusieurs affaires en cours d’accéder à des documents dont ils ont demandé la communication.

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