Survie

Procès de Charles Onana et son éditeur Damien Serieyx : compte-rendu des audiences (JOUR 1)

Publié le 10 octobre 2024

Du 7 au 11 octobre se tient le procès de Charles Onana et des éditions du Toucan devant la 17e chambre correctionnelle du tribunal judiciaire de Paris. Il s’agit du second procès en France pour contestation du génocide des Tutsis. Une plainte pour contestation de crime contre l’humanité avait été déposée en 2020 par la Ligue des Droits de l’Homme (LDH), la Fédération Internationale des Droits de l’Homme (FIDH) et l’association Survie.

Des membres de l’association Survie présents pendant le procès proposent un compte-rendu chronologique des audiences. La synthèse est suivie d’une transcription des auditions de M. Onana et Serieyx, destinée à se rapprocher le plus possible d’un verbatim - dans la limite des libertés que la prise de notes impose.

Jour 1 : 7 octobre (13h30 - 21h10)

Atmosphère

Sur le parvis du Tribunal de Paris, des banderoles de soutien à Charles Onana et son livre Holocauste Congo : L’Omerta de la communauté internationale (L’Artilleur, 2023) attendent le début de l’audience. Charles Onana arrive entouré de 4-5 gardes du corps costauds. Plusieurs dizaines de partisans se massent devant la salle d’audience. La Radio Télévision Nationale Congolaise (RTNC) est là. Les téléphones sont brandis pour le filmer, on entend « C’est un héros !  », « Les parties civiles n’oseront peut-être pas se montrer »… Si, elles sont là. Elles entrent après le public venu soutenir la défense, une fois que les policiers qui contrôlent l’accès annoncent qu’il n’y a plus de place dans la salle, seulement pour les parties civiles et leurs soutiens. Tout le public n’a donc pas pu rentrer le lundi : les auditions se déroulent dans une plus grande salle à partir de mardi (environ 120 personnes présentes mardi, dont au moins 2/3 du côté de la défense).

La Présidente fait preuve de courtoisie. Attentive et patiente, elle tient la salle – qui parfois s’esclaffe ou réagit bruyamment - et ramène les témoins au sujet de la plainte lorsque ceux-ci s’étendent sur le récit des actions du Front Patriotique Rwandais (FPR), sur le régime actuel de Kigali ou sur l’attentat du 6 avril. A la fin de l’audition du colonel Luc Marchal, certains ont applaudi : ils ont été évacués. Depuis, la salle est relativement calme, avec parfois des réactions du côté des soutiens de la défense.

Rappel de la procédure et des faits

L’appel des témoins est suivi d’une suspension pour la mise à jour du planning de la semaine : de nouveaux témoins de la défense se sont présentés. 21 témoins seront auditionnés, pendant 1 h chacun en moyenne. La juge a rajouté 2 demi-journées, soit 6 demi-journées au total. 5 officiers français présents au Rwanda en 1994 vont témoigner pour Charles Onana. Une heure plus tard, les témoignages commencent.

L’éditeur Damien Serieyx est poursuivi comme auteur de l’infraction en tant que responsable légal, Charles Onana comme complice.

La Présidente rappelle l’historique et la formulation de la plainte puis procède à la lecture des extraits du livre incriminés et du rapport qu’elle a rédigé pour les remettre dans leur contexte dans le livre - qu’elle a lu attentivement. Elle rappelle et liste les modes de négation implicites identifiés par les parties civiles qui s’ajoutent à la négation pure et simple :

  • La négation du génocide via la minoration
  • La négation du génocide via la confusion du statut des victimes
  • La disqualification des institutions judiciaires.

A la juge d’instruction, Charles Onana a déclaré ne pas être l’auteur des citations isolées par les parties civiles, mais l’auteur d’un ouvrage complet dans lequel elles s’insèrent. Les arguments des parties civiles pour la plainte sont également résumés.

L’audition de Charles Onana

Charles Onana est le premier appelé pour témoigner. Il fait une présentation initiale dont les liens avec l’objet de la plainte ne sont pas explicites : il parle de la politique du FPR, de l’Opération Turquoise, des crimes de Paul Kagame.

Il insiste sur son absence de conflits d’intérêts et sa proximité avec des rescapés Tutsis. Ce sont les zones d’ombre autour de l’attentat du 6 avril qui l’ont amené à s’intéresser au génocide des Tutsis. « Je ne nie pas du tout le génocide et je ne le ferai jamais ». Il a ajouté considérer « le génocide contre les Tutsis comme étant un fait incontestable », déplorant qu’« on me prête des intentions qui ne sont pas les miennes ». Pour justifier la qualification d’« escroquerie » à propos de la « planification » du génocide, M. Onana affirme qu’elle renvoie au FPR, « qui le met en avant dès le mois d’avril 94 » sans pour autant « en apporter la preuve ». Et d’insister sur l’« offensive menée par le FPR pour renverser le régime au pouvoir » à l’époque, comme « déclencheur » des événements qui ont suivi. Selon lui :

  • Initialement le FPR aurait été le seul à parler de génocide.
  • Ce sont les Américains qui ont poussé à reconnaître ce mot.
  • La France aurait été active dans les négociations de paix d’Arusha.
  • Le FPR serait seul responsable de l’exode des Hutus au Zaïre.
  • Il n’y aurait aucune preuve des accusations contre Turquoise.
  • Les Français n’auraient pas aidé les génocidaires à fuir au Zaïre.
  • Il n’y aurait aucune planification du génocide.
  • Dans son livre il ne confondrait jamais les civils tutsis avec les rebelles armés du FPR.
  • Il aurait été le seul à consulter les archives, notamment de l’Élysée.
  • La thèse de M. Onana aurait été reçue avec les félicitations du jury.

Après l’avoir laissé dérouler son argumentaire, la Présidente lui demande s’il a bien saisi l’objet de la plainte et de revenir sur les phrases visées par la plainte. Charles Onana bafouille. Il dit juste que s’il avait voulu nier le génocide il l’aurait fait explicitement et en quelques pages, pas en écrivant un livre pareil. Pour lui, les parties civiles ont isolé des propos qui font partie d’un tout. Quand la juge lui a demandé ce qu’il répondait à la plainte, il répond qu’il ne va pas faire le travail de l’avocat à sa place.

Sur l’utilisation des guillemets autour du mot génocide, il est confus : c’est parce que selon lui, à l’époque, tant qu’il n’a pas été reconnu officiellement, seul le FPR utilisait ce mot, ce serait donc les propos rapportés du FPR... Quand on lui demande de préciser les soi-disant nombreux passages de son livre où il reconnaît le génocide des Tutsis, il ne peut pas en citer et dit que son avocat le fera. Sur chaque phrase ambiguë, il attribue l’ambiguïté au lecteur qui lui prête une intention. Quand la juge lui demande à quelles lois il fait allusion quand il critique les lois mémorielles qui s’opposent à la recherche scientifique, il dit que son avocat répondra, puis il fait allusion à un projet de loi belge. Il se dit menacé de mort par Kagame, ce qui justifie ses gardes du corps. Quand la juge lui a demandé ses revenus, il a bafouillé et dit que son avocat répondrait ; l’avocat a promis d’apporter sa déclaration d’impôts.

L’audition de Damien SERIEYX

L’éditeur de Charles Onana, Damien Serieyx, se dit étonné de se retrouver devant un tribunal. Il dit ne rien regretter, qu’il n’est pas spécialiste mais a vu une thèse intéressante sur l’Opération Turquoise, qui n’avait selon lui pas fait l’objet d’un travail scientifique jusque-là. Cette thèse, validée par l’université selon lui « avec les félicitations du jury », dont il a vérifié quelques sources par sondage et demandé copie de certains documents, lui a paru «  fiable  » et solide.

L’audition du colonel Luc MARCHAL, cité par Charles ONANA

Luc Marchal construit son témoignage autour de son expérience sur le terrain dans la région des Grands Lacs, de ses années au Congo-Zaïre comme coopérant militaire en 1977 et pendant la guerre des 80 jours, jusqu’à son arrivée au Rwanda en décembre 1993 en tant que commandant du secteur Kigali de la Mission des Nations unies pour l’assistance au Rwanda (MINUAR). Pour lui, sa nationalité belge était un atout pour comprendre la société rwandaise où cohabitent différentes communautés ethniques... Rappelant la situation politique et militaire du pays, il émet beaucoup de critiques du FPR. Selon lui :

  • Dans la nuit du 6 au 7 avril, les militaires étaient rentrés dans leur caserne, on circulait dans Kigali sans voir de militaire ni de quadrillage organisé.
  • Le FPR aurait attaqué juste après l’attentat et cela prouverait qu’il était prêt depuis des mois.
  • Après le 6 avril, c’est le chaos complet : pillage, vol, ... les gendarmes sont occupés à autre chose.
  • Les premiers massacres sont les centaines de tués le 7 avril par le FPR, muni de listes d’opposants : professions libérales, médecins, enseignants, avocats.
  • En réaction, cela a suscité les autres massacres qui ont mené au génocide.
  • Début avril, le FPR aurait refusé toute intervention de la MINUAR et toutes les demandes de cessez-le-feu de l’armée rwandaise destinées à mettre fin aux massacres.
  • Le FPR aurait seulement voulu la guerre et n’a jamais eu pour objectif de sauver des Tutsis.

La Présidente le laisse dérouler puis lui demande les liens entre ce témoignage et l’objet de la plainte. Les tentatives pour le réorienter échouent, il est déstabilisé et dévie systématiquement. Lorsque les avocats des parties civiles lui demande s’il partage le constat judiciaire d’un plan concerté reconnu par les institutions judiciaires, il prétend que tous les accusés du chef d’entente en vue de commettre le génocide ont été acquitté. Les avocats des parties civiles lui font remarquer que le Premier Ministre ainsi que plusieurs ministres du Gouvernement Intérimaire Rwandais (GIR) ont été condamnés pour ce motif.

L’audition de Semus NTAWUHIGANAYO, cité par Charles ONANA

L’ancien chef des services des renseignements de Kagame, actuellement en exil sous pseudo, liste en détail et avec précision les crimes de Kagame. Il souligne la nécessité de les distinguer du génocide des Tutsis, qui n’est pas de même nature. Il n’adhère pas aux phrases d’Onana poursuivies (il reconnaît par exemple la planification). Il était cité par Onana, et dit qu’il le soutient entièrement. Il attaque nommément Ibuka, l’une des parties civiles, prétendant que l’association ne s’intéresse pas aux sorts de toutes les victimes du génocide mais uniquement aux Tutsis, évoquant une potentielle partialité.

L’audition de Madame Bojana GLIGORIC ép.COULIBALY, citée par l’association CRF

Mme Coulibaly est manager du programme des langues africaines à Harvard et chercheuse en analyse du langage. Elle décortique la rhétorique d’Onana et son lien avec le négationnisme, en montrant que le négationnisme n’a pas besoin d’être explicite. Elle commence par démonter la préface du colonel Luc Marchal, qui ne cite jamais le mot génocide. Elle liste les champs lexicaux et les mécanismes rhétoriques utilisés par Onana, qui s’éloignent de la démarche scientifique : les confusions, les termes complotistes, les questions rhétoriques, les euphémismes... Elle analyse les similarités avec les textes de génocidaires comme Bagosora et de Ngirumpatse. Elle dit que le problème n’est pas tant les sources qu’utilisent Onana, mais la manière dont il prétend en tirer ses conclusions, les tronquant. Elle termine sur l’idéologique hamitique – idéologie anti-tutsie qui a servi de base au génocide contre les Tutsis, invoquant une inégalité des groupes ethniques - et ses conséquences actuelles au Congo. Selon elle, Onana reprend cette idée du Tutsi envahisseur ou élément étranger et ses écrits, considérés comme une référence aujourd’hui, s’inscrivent dans la prolifération des discours de haine et actes de violence en République Démocratique du Congp (RDC) qu’elle étudie.

L’avocat d’Onana pose une question sur ses origines bosniaques pour ensuite demander s’il est possible de faire un parallèle entre la qualification de génocide employée par la Bosnie avant la reconnaissance officielle en 1995 pour appeler l’aide de la communauté internationale, et l’emploi du mot génocide par le FPR avant qu’il ne soit reconnu par les instances judiciaires – de façon à justifier l’emploi des guillemets par son client.


Transcription des auditions de M. Onana et Serieyx, destinée à se rapprocher le plus possible d’un verbatim - dans la limite des libertés que la prise de note impose.

Retranscription de l’audition d’Onana

Charles Onana : Je vais commencer par l’élément central, la négation du génocide. Je dirai d’abord que je n’ai pas de conflit d’intérêt, je ne suis pas rwandais, je n’étais pas en lien avec les gouvernements rwandais d’avant 1994. Je me suis intéressé à cette affaire parce que j’étais juste perplexe de constater qu’il y avait un point sombre dont on ne voulait pas parler : l’attentat du 6 avril. Je m’étais posé la question de savoir pourquoi cet attentat n’éveillait pas d’intérêt.

Je rencontre dans ce contexte Deo Mushayidi, rescapé du génocide dont toute la famille a été exterminée. Il essayait de revivre à travers sa femme et ses enfants. Il me dit : « On va travailler sur cette histoire d’attentat.  ». Deo avait été représentant officiel du FPR en Suisse. Nous commençons l’enquête avec beaucoup de risques à Nairobi, où sont implantés d’anciens agents du FPR. Des gens ont été assassinés à Nairobi : je suis conscient que je prends des risques pour ma vie. Je n’ai pas d’a priori quand je commence cette enquête, je ne connais pas les subtilités comme Deo. J’ai une curiosité intellectuelle : je cherche à comprendre. Même dans le livre incriminé [Rwanda, la vérité sur l’opération Turquoise] je n’ai pas de certitude. En 2002, quand paraît Les secrets de la justice internationale. Enquêtes truquées sur le génocide rwandais (Éditions Duboiris, 2005) écrit donc avec Mushayidi, Paul Kagame porte plainte contre nous pour diffamation. Nous rassemblons 4 000 documents de preuve. Quarante-huit heures avant le procès, Monsieur Kagame et l’État rwandais se sont désistés. On m’a traité de négationniste, de génocidaire... il n’y avait que des coups à prendre.

Je découvre qu’il y a de plus en plus d’accusations contre l’opération Turquoise d’une gravité extrême : les militaires de Turquoise ont été complices des génocidaires, ont violé des femmes, etc... Je décide de faire un travail de thèse là-dessus car je constate qu’il n’y a pas de travail scientifique qui a été réalisé sur le sujet. Donc je fais ce travail en prenant pour acquises les accusations portées contre Turquoise et j’examine les sources. Ce que je lis sont principalement des sources de 3e ou 4e main, je me dis que je dois avoir accès aux archives des Nations Unies concernant Turquoise. Et je vais avoir de grosses surprises. Le FPR avait dit qu’il y avait un génocide et voulait un tribunal pour juger les criminels ; je découvre que le FPR s’est opposé à Turquoise au motif qu’il n’y n’avait plus de Tutsis vivant à sauver... mais même s’il n’en restait qu’un seul, cela suffisait à justifier une intervention.

[Onana parle de sa rencontre avec le Représentant permanent de la France aux Nations Unies, Jean-Bernard Mérimée. Il est reçu par Carla Del Ponte, ancienne procureur du Tribunal Pénal International pour le Rwanda (TPIR), qui lui fait des confidences qu’elle confirmera plus tard dans ses mémoires.]

Kagame a dit à Del Ponte qu’il était hors de question d’enquêter sur le FPR. Je me rends compte ensuite que je ne peux pas enquêter sur Turquoise sans partir de l’offensive du FPR de 1990 pour prendre le pouvoir. Je cherche dans les archives de l’ONU, de la MINUAR, de l’Élysée et me rend compte que la question de la guerre ne se pose pas. Rassemblant les éléments concernant la guerre et posant de nouvelles questions, je découvre que le FPR veut la conquête du pouvoir mais qu’on accuse la France d’avoir fait exfiltrer les génocidaires. Je rencontre le général Hogard et d’autres responsables militaires et politiques, comme l’ex-premier ministre du Gouvernement intérimaire rwandais, Kambanda. On accuse aussi la France de livraisons d’armes aux génocidaires sur le territoire zaïrois. J’interroge les Zaïrois et à chaque fois je me rends compte que ces accusations ne tiennent pas.

Madame la Présidente : Là vous vous attardez sur ce qui concerne l’opération Turquoise dans votre livre. Mais aujourd’hui, ce dont vous devez répondre ce sont les propos de votre ouvrage sur l’existence du génocide des Tutsis...

Charles Onana : Je ne nie pas du tout le génocide. Je ne le fais pas et je ne le ferai pas, ayant des amis qui ont survécu au génocide. Sur 660 pages du livre, combien de pages sont mises en cause ? Le gros de mon travail ne porte pas là-dessus. Qu’on me montre un seul passage où je nie le génocide des Tutsis et là alors je le reconnaîtrai...

Madame la Présidente : Vous avez bien compris qu’il vous est reproché de contester le génocide des Tutsis selon les modalités lues dans mon rapport initial ?

Charles Onana : Je ne vais pas faire le travail des avocats à leur place. Ce qu’il faut que vous sachiez c’est que je travaille en sciences politiques, dont le but est d’analyser les discours des institutions et des acteurs politiques. Le FPR et le GIR sont des acteurs politiques qui sont en affrontement. Précision : je ne confonds pas les Tutsis civils qui sont victimes de violence avec les rebelles Tutsis qui mènent une action violente. Je ne confonds pas les Tutsis victimes et les rebelles du FPR qui ont conquis le pouvoir à Kigali. Qui, madame la Présidente, utilise en premier le terme génocide ? C’est le FPR. Les parties civiles s’amusent beaucoup avec les guillemets…

Madame la Présidente : Justement, pourriez-vous vous expliquer là-dessus ?

Charles Onana : J’ai écrit un livre de 668 pages : ce n’est pas un supermarché où l’on prend ce qui nous arrange. Qu’on me montre une phrase où je nie le génocide ! J’ai par contre plusieurs pages où je reconnais le génocide. Mes contradicteurs vont venir avec la question de l’intention : mon intention est de permettre au lecteur d’avoir un spectre de compréhension plus large. Comment peut-on me prêter des intentions qui ne sont pas les miennes ?

Madame la Présidente : Pourquoi alors que vous nous dites qu’il n’y a pas d’intention de négation, prenez-vous la précaution de dire qu’il ne faut pas se méprendre sur ce que vous dites ?

Charles Onana : Parce que je suis traité de négationniste par le gouvernement rwandais.

Madame la Présidente : Quand avez-vous commencé le travail qui a abouti à la thèse et au livre ?

Charles Onana : J’ai soutenu la thèse en 2017. Le travail sur Turquoise a duré environ 10 ans après mon constat de l’absence de travail scientifique sur le sujet.

Madame la Présidente : Vous dites cela, mais vous dites aussi que les chercheurs ont produit de la matière… qui irait simplement dans un sens qui n’est pas le vôtre ?

Charles Onana : Je parlais de la recherche sur Turquoise ! Les autres chercheurs répètent juste les mêmes accusations sans fondement.

Madame la Présidente : Vous avez travaillé sur le TPIR. Avez-vous connaissance du constat judiciaire de 2006 ? Il y a des travaux sur le TPIR où vous développez l’origine de l’emploi du mot génocide, que vous mettez en doute : ce terme n’aurait pas été utilisé au terme d’une analyse de preuve, mais de manière beaucoup trop rapide…

Charles Onana : Vous remarquerez que je ne porte pas de jugement de valeur sur cette décision du TPIR [concernant le constat judiciaire]. Est-ce permis pour un politologue de retracer le cheminement qui a abouti à cette décision ? D’ailleurs, je préviens que je ne nie pas le génocide. J’ai été formé dans les universités à la réflexion cartésienne. Le travail intellectuel est un exercice d’humilité…

Madame la Présidente : Pouvez-vous expliciter ce dont vous parlez quand vous mentionnez des lois mémorielles qui ont entravé la recherche ?

Charles Onana : En Belgique, il y a eu un projet de loi sur le négationnisme. Monsieur Reyntjens a dit que c’était dangereux pour la recherche. Les parties civiles parlent de négation implicite ; si je voulais nier pourquoi je recourrais au négationnisme implicite ?

Questions des avocats : Me Gisagara (CRF) : Je vais exaucer votre vœu et vous citer une phrase où vous nier le génocide des Tutsis : page 34 de votre livre, « Il est désormais établi que l’actuel régime de Kigali ne supporte pas les universitaires, les journalistes et les auteurs dont les travaux nuancent ou contredisent le dogme ou l’idéologie du « génocide des Tutsis ». L’arme de destruction massive qui a été trouvée pour disqualifier ou pour discréditer le travail des chercheurs américains est de les traiter de « révisionnistes » ou de « négationnistes », un vocabulaire réservé en général aux auteurs qui nient l’Holocauste des Juifs et que certains veulent étendre abusivement et maladroitement à la tragédie rwandaise. Soyons clair, le conflit et les massacres du Rwanda n’ont rien à voir avec le génocide des Juifs ! Toute tentative de mariage forcé ou de comparaison entre ces deux événements distincts est abusive et déplacée. » Pour vous, il est donc injustifié de comparer la Shoah au génocide des Tutsis ?

[Gros rire dans la salle côté défense. Rappel à l’ordre de Madame la Présidente qui menace d’exclure des débats toute personne qui continuerait à réagir ostensiblement.]

Charles Onana : L’accusation a parfaitement le droit d’interpréter mes propos comme elle le souhaite.

Me Gisagara (CRF) : Pourquoi utilisez-vous cette phrase si vous ne niez pas le génocide ?

Charles Onana : Dans cette phrase je ne nie pas le génocide. Au contraire, je suis malheureusement un chercheur précautionneux et je voulais justement prendre des pincettes pour appeler à la vigilance lorsque l’on compare des situations très différentes. Le contexte de la Shoah et du Rwanda ne sont pas du tout les mêmes : il n’y a jamais eu d’armée de Juifs qui ont combattu le Führer. Le contexte dans lequel les choses se sont passées au Rwanda n’a absolument rien à voir avec celui de la Shoah : c’est par humilité que j’ai écrit cette phrase.

Me Goldman (LICRA) : Connaissez-vous la définition juridique du génocide ?

Charles Onana : Je ne répondrai pas à cette question.

Me Goldman (LICRA) : Saviez-vous qu’il y a la notion de « plan concerté » dans la définition ?

Charles Onana : Le TPIR a affirmé la planification, en tout cas le procureur.

Me Goldman (LICRA) : Il y a deux passages où vous qualifiez cette planification « d’escroquerie » (page 198 ; page 460), « d’imposture » (page 460)…

Charles Onana : Par qui ? Pouvez-vous relire sans tronquer ma citation ?

Me Goldmann : « Ceci démontre, s’il en était encore besoin, que la thèse conspirationniste d’un régime hutu ayant planifié un « génocide » au Rwanda constitue l’une des plus grandes escroqueries du XXe siècle.  » (page 198)

[Madame la Présidente demande à Onana de s’expliquer calmement.]

Charles Onana : A aucun moment de cette phrase je ne parle du Tribunal, je parle uniquement du FPR. Ce que j’écris est précis.

Me Heinich (Survie) : Vous prétendez qu’il y a plein de passages où vous reconnaissez le génocide. Pourtant je n’en ai pas trouvé : pouvez-vous citer un exemple ?

Charles Onana : C’est un livre de 660 pages, je n’ai pas tout en tête. Je laisserai mon avocat répondre car je ne voudrais pas me tromper et me mettre en porte-à-faux…

Me Heinich (Survie) : Pourquoi n’avez-vous pas dit d’emblée que vous vous étiez intéressé au génocide, mais à « cette affaire » ?

Charles Onana : Il paraît que la répétition est pédagogique alors je vais vous redire que je me suis d’abord intéressé à l’attentat du 6 avril 1994. Je ne me suis pas dit « Je vais enquêter sur le génocide », mon ami Deo était bien plus au fait de ce qu’il s’était passé. Moi je m’intéressais à l’attentat dont le rapport des Nations-Unies faisait l’élément déclencheur du génocide.

Me Heinich (Survie) : Je reviens sur l’utilisation des guillemets. Nous avons compté 160 fois une utilisation du mot entre guillemets contre 12 fois sans... La répétition est pédagogique, dites-vous ?

Charles Onana : Je mets les guillemets quand il s’agit du terme génocide employé du point de vue du FPR, qui est le premier à avoir utilisé ce mot et je ne le mets pas quand je le reprends à mon compte.

Me Heinich (Survie) : Qu’entendez-vous par « […] Pascal Simbikangwa, condamné en France non pour la vérité mais pour l’exemple [...] » ? (page 437)

Charles Onana : C’est une citation du titre du livre de Fabrice Epstein [avocat de Pascal Simbikangwa, Un génocide pour l’exemple, aux éditions du Cerf, 2019].

Me Heinich (Survie) : Pourtant la citation du livre vient après, elle est entre guillemets là - avant c’est donc votre propre discours, c’est vous qui écrivez ?

Charles Onana : Je fais cette citation par honnêteté intellectuelle.

Me Heinich (Survie) : Vous citez dans votre livre le rapport [du rapporteur spécial de la commission des Droits de l’Homme des Nations Unies] René Deni-Segui. Mais vous en manipulez les conclusions, pour prétendre que la qualification de génocide n’était pas encore acquise quand ce rapport a été rédigé [le 28 juin 1994].

Charles Onana : Le secrétaire général [des Nations Unies] et Degni-Ségui disent eux-mêmes qu’il faut faire encore des enquêtes à ce moment-là.

Me Heinich (Survie) : Si l’on poursuit la lecture du rapport, on voit qu’il est dit que la qualification de génocide est « d’ores et déjà acquise ». Comment expliquez-vous donc que vous ayez tronqué ce rapport ?

Charles Onana : La formulation « d’ores et déjà » montre qu’il faut encore enquêter.

Madame la Procureur : Vous avez parlé de Deo Mushayidi. Comment vous êtes vous rencontrés ?

Charles Onana : Lors d’un voyage aux États-Unis organisé par le département d’État.

Me Pire (Avocat de la Défense) : Dans cet extrait des pages 190-191, vous écrivez ensuite que cela ne signifie pas qu’il n’y a pas eu de génocide. Vous dites qu’à l’époque les enquêtes sont encore nécessaires ?

Charles Onana : Oui, mais juste après j’écris que cela ne signifie pas que le génocide n’a pas existé et j’écris le mot génocide sans guillemets car je le reprends à mon compte.

Me Pire (Avocat de la Défense) : [Demande de précisions sur les références aux travail d’Allan Stam et Christian Davenport dans le livre de Charles Onana.]

Charles Onana : Ces chercheurs ont travaillé pendant 10 ans à la demande de l’association Ibuka et du gouvernement de Kigali. Ils ont constaté que plus le FPR avançait, plus les Tutsis étaient massacrés. Ils ont aussi demandé à Ibuka combien de victimes Tutsies ont été tuées : ils ont répondu 300 000. Et lorsqu’on leur a demandé combien il y avait de Tutsis avant le génocide : ils ont répondu 600 000. Comme il y a eu entre 1 million et 1,5 million de morts au total, ils en ont déduit que c’était des victimes Hutues. Les deux chercheurs ont dû quitter le Rwanda sous 24 heures. Heureusement ils étaient américains sinon ils auraient été liquidés comme on dit...

Me Pire (Avocat de la Défense) : Vous mentionnez une campagne menée par le FPR pour imposer le mot génocide. Avez-vous dit que le mot génocide des Tutsis ne correspondait pas à la réalité des faits ?

Charles Onana : Quand je parle de la réalité des faits je parle des faits qui se déroulent sur le plan militaire. J’ai édité le livre de Jacques-Roger Booh-Booh qui discutait avec le FPR et tous les autres et Jacques-Roger Booh-Booh dit que ce qu’on lit ne s’est pas passé comme ça.

Me Pire (Avocat de la défense) : Pouvez-vous nous expliquer ce que vous avez constaté quant à la planification ?

Charles Onana : J’ai constaté que le FPR avait dressé la liste de ceux qu’il voulait voir accuser et qu’il a dit qu’il y avait un plan de génocide et qu’il en avait les preuves. Or, il y a au moins deux ou trois jugements du TPIR où il est écrit que le procureur a été incapable d’en apporter la preuve. Le FPR n’a pas non plus apporté les preuves annoncées…

Me Pire (Avocat de la défense) : Vous avez publié d’autres ouvrages qui ont traité de la situation au Rwanda, par exemple sur l’attentat. Utilisez-vous les guillemets dans ce livre ?

Charles Onana : Non. Dans mon livre sur l’attentat, quel intérêt j’ai de nier le génocide des Tutsis ? Je prends des risques mais je suis devant vous.

Me Pire (Avocat de la défense) : Vous pouvez nous expliquer ces risques ?

Charles Onana : Mon ami Tutsi Deo a été mis en prison par le régime de Kigali actuel, au Rwanda depuis 14 ans. Je suis inquiet [sa voix tremble d’émotion, les larmes montent].

Madame la Présidente : Vous êtes inquiet pour lui ou pour vous ?

Charles Onana : Pour nous deux ! Et je tiens à dire que le sort de Deo n’intéresse pas les parties civiles qui prétendent défendre les rescapés. Le président Kagame a dit publiquement en juillet que les négationnistes du génocide doivent mourir un jour. Je suis aussi inquiet pour un autre ami. L’association Survie a fait un procès médiatique contre moi après le dépôt de la plainte : j’ai été condamné avant d’être entendu.

Madame la Présidente : Quelle est votre situation personnelle ? Votre revenu mensuel moyen ?

Charles Onana : [Grosse hésitation] C’est fluctuant... je ne sais pas vous répondre… et je ne veux pas me tromper. Je suis très fatigué…

Me Pire (Avocat de la défense) : Nous fournirons la feuille d’imposition.

Madame la Présidente : Un autre aspect de votre situation personnelle à partager ?

Charles Onana : Que je suis en danger. C’est tout.


Retranscription de l’audition de Damien SERIEYX :

Madame la Présidente : Que pouvez-vous nous dire sur les faits reprochés ?

Damien Serieyx : Que je suis étonné de me retrouver là, c’est la première fois. J’ai décidé de publier ce manuscrit parce qu’aucune étude scientifique à ce jour n’avait été faite sur le sujet. C’est un livre très dense qui m’a paru très sérieux . Je l’ai lu, je l’ai fait lire. Le livre m’a semblé extrêmement documenté. J’ai vérifié moi-même un certain nombre de sources : il y avait là une richesse éditoriale à offrir. Et enfin, ce livre venait d’une thèse soutenue à l’université Lyon-3 qui avait obtenu les félicitations du jury et avait donc été validé par l’université française. En tant qu’éditeur, j’ai rédigé moi-même la 4e couverture. Elle contient une validité explicite de la réalité du génocide.

Madame la Présidente : Pouvez-vous expliquer la citation de Shimon Peres sur la quatrième de couverture ?

Damien Serieyx : Cette phrase fait référence à l’opération Turquoise. Peres s’adresse à Mitterrand et lui dit « Si nous avions fait une telle opération pendant la Seconde Guerre mondiale, nous n’aurions pas connu la Shoah ».

Madame la Présidente : Mais dans l’ouvrage, il y a des passages qui ne concerne pas uniquement Turquoise…

Damien Serieyx : Je ne partage pas ce sentiment.

Madame la Présidente : Ce n’est pas un sentiment, c’est le résultat d’une lecture objective de l’ouvrage.

Damien Serieyx : Ce sont des éléments nécessaires pour présenter le contexte.

Madame la Présidente : Avez-vous lu la thèse ? Quelle différence avec l’ouvrage publié ?

Damien Serieyx : J’ai lu la thèse et il y a des passages que Charles a montré et qui sont identiques au livre.

Madame la Présidente : Comment avez-vous pris connaissance de ce travail ? Le manuscrit vous a-t-il été recommandé ?

Damien Serieyx : Non, Charles est venu me le présenter.

Madame la Présidente : Avez-vous publié d’autres livres sur l’Afrique ou sur le génocide ?

Damien Serieyx : Quelques livres sur l’Afrique mais pas sur cette thématique particulière. J’ai publié deux autres livres de Charles : un livre sur l’attentat et un sur le Congo.

Madame la Présidente : Le livre sur l’attentat a-t-il été attaqué ?

Damien Serieyx : Non.

Me Delhoume (LDH, FIDH) : Quand vous publiez un livre historique, faites-vous des vérifications ? Par exemple, concernant l’extrait (page 437) sur « Pascal Simbikangwa, condamné en France non pour la vérité mais pour l’exemple [...] », avez-vous fait des recherches sur cette décision de condamnation ?

Damien Serieyx : Non, j’ai regardé le livre d’Epstein et j’ai considéré qu’Onana reprenait les mots d’Epstein [dans Un génocide pour l’exemple, aux éditions du Cerf, 2019].

Me Delhoume (LDH, FIDH) : Mais ensuite, il y a une citation du livre d’Epstein, donc les propos incriminés sont de la plume d’Onana ?

Damien Serieyx : Pour moi ces propos correspondaient au livre cité.

Me Gisagara (CRF) : Avez-vous vérifié les sources utilisées ? De quelles sources s’agit-il ?

Damien Serieyx : Je ne suis pas historien, mais Onana m’a présenté des facs similés de documents dont les notes du général Quesnot [chef d’état-major particulier du président Mitterrand en 1994] ou de Monsieur Dallaire [commandant la MINUAR, mission des Nations-Unies d’assistance au Rwanda] : ce sont des sources fiables.

Me Gisagara (CRF) : Pourtant, c’est Monsieur Graner qui a le premier consulté ces archives. Comment pouvez-vous être sûr que ces documents [présentés par M. Onana] étaient fiables ?

Damien Serieyx : J’ai vu les signatures de Quesnot et Dallaire, ça m’a suffit.

Me Heinich (Survie) : Saviez-vous qu’aucun des passages visés par la plainte ne figure dans la thèse initiale ?

Damien Serieyx : Je ne les avais pas pointés précisément.

Me Heinich (Survie) : Un rapport rédigé par des universitaires a critiqué la thèse. Cette derniere a fait l’objet de controverse. En avez-vous eu connaissance ?

Damien Serieyx : Oui, mais pour moi les félicitations du jury étaient un gage suffisant.

Me Heinich (Survie) : Savez-vous qu’après il y a eu encore un rapport sur cette thèse ?

Damien Serieyx : Non. Mais comme je vous l’ai dit, c’est une thèse qui a été validée par l’université française ! Avec les félicitations du jury ! Ce qui m’a suffit.

Me Pire (Avocat de la défense) : Vous attendiez-vous à être poursuivi pour des propos du livre concernant le génocide ?

Damien Serieyx : Non, je le répète : je suis étonné.


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