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Niger : la France doit cesser de jouer les incendiaires et sortir du déni en évacuant ses militaires

Pont Kennedy sur le fleuve Niger à Niamey, en 2010. (Photo : Abdelsalam Soumaïla, CC abdallahh)
Publié le 14 août 2023 - Survie

Alors qu’une réunion des chefs d’état-major de plusieurs pays de la CEDEAO est imminente en vue de planifier une intervention armée contre les putschistes au Niger, l’association Survie, qui milite contre la Françafrique, appelle les autorités françaises à évacuer enfin ses 1500 militaires stationnés dans le pays. Dans le cas contraire, la France deviendrait co-belligérante et graverait dans le marbre son ingérence dans cette crise.

Bien que le communiqué issu du sommet extraordinaire de la CEDEAO du 10 août donne encore une chance aux négociations, les préparatifs d’une intervention armée de pays membres vont bon train. Impossible de savoir si celle-ci aura lieu, ni quand exactement, mais la France a d’ores et déjà fait savoir qu’elle apportait son soutien. Celui-ci pourrait être très concret, puisque le contingent français positionné au Niger est en position stratégique de contrôler très rapidement l’aéroport de Niamey [1] : un atout non négligeable pour une importante intervention au sol. Le maintien de ses soldats au Niger risque donc de placer la France dans une position de co-belligérante directe. Cela entérinerait son ingérence dans la crise en cours, déjà marquée par les postures martiales et les déclarations belliqueuses d’Emmanuel Macron et sa ministre Catherine Colonna.

Depuis les premières heures du putsch, la France a en effet manifesté son exaspération et contribué ainsi à envenimer la situation, renforçant notamment le soutien d’une partie de la population à l’égard des militaires putschistes : condamnation immédiate le 26 juillet [2] alors que la prudence imposait un silence diplomatique, menaces de l’Élysée le 30 juillet en cas d’« attaque contre la France et ses intérêts », évacuation des ressortissants français le 1er août (donc bien avant la fin de l’ultimatum de la CEDEAO) pour préparer les esprits à une intervention armée, suspension le 6 août de l’aide financière au Burkina Faso coupable de soutenir les putschistes nigériens [3], affirmation le soir même du sommet de la CEDEAO du 10 août du « plein soutien à l’ensemble des conclusions » [4] donc à l’option militaire… Or, tous les commentateurs, a fortiori des officiers français en retraite comme ceux qui contribuent à accentuer les bruits de botte [5], savent qu’une intervention armée de la CEDEAO ne pourrait se faire qu’avec l’appui matériel de l’armée française.

Guerre vertueuse

Difficilement contestable, un motif de « défense de la démocratie » est mis en avant, martelé à chaque intervention politique et largement repris dans les médias. Le président renversé ayant refusé de démissionner face aux putschistes (contrairement à ses ex-homologues au Mali, en Guinée et au Burkina Faso), il conserve selon certaines interprétations juridiques sa légitimité - en dépit d’ailleurs des conditions catastrophiques de sa propre arrivée à la tête du pays et de l’exercice de son pouvoir [6]. En 2011 et 2013, le même unanimisme était de mise concernant l’intervention en Côte d’Ivoire, l’attaque de la Libye et la guerre au Mali, en se prévalant là encore d’objectifs vertueux. La « protection des populations » sema le chaos en Libye puis permit d’imposer en Côte d’Ivoire Alassane Ouattara, présenté alors comme « président démocratiquement élu » [7]. Au Mali puis chez ses voisins sahéliens, la « guerre contre le terrorisme » fut menée tambour battant jusqu’à ce jour, malgré l’évidence de plus en plus partagée qu’il s’agissait d’une impasse.

La situation à laquelle le Niger et ses voisins font face est l’héritage de ces aventures militaires et les motifs incontestables se contredisent parfois : lorsqu’au nom de cette même « guerre contre le terrorisme », la France a soutenu – et entériné par un déplacement d’Emmanuel Macron – le coup d’État constitutionnel au Tchad en avril 2021, les autorités françaises ont montré le peu de cas qu’elles font de la démocratie chez leurs alliés – tout comme au Togo, en Mauritanie, au Cameroun, au Gabon, au Congo, etc. où des mascarades font office d’élections. Quant à la menace de voir s’implanter le groupe Wagner, dont les terribles exactions dans d’autres pays sont bien documentées, elle ne saurait faire oublier d’une part l’échec – prévisible – de la « guerre contre le terrorisme » et le double-discours des autorités françaises en matière de droits humains, qui pavent la voie à de telles alternatives sanglantes. Ce n’est pas par une nouvelle aventure militaire soutenue par les puissances occidentales, avec le risque d’embraser la région, que l’on promouvra la démocratie au Niger.

Un allié indispensable

« C’est le coup d’État de trop » [8], explique la ministre des Affaires étrangères Catherine Colonna, qui explicite ce que chacun sait : la France, échaudée de la perte d’alliés proches au Mali et au Burkina Faso, ne saurait tolérer que l’histoire s’écrive sans elle au Niger. Source historique d’approvisionnement en uranium pour la filière nucléaire française, le pays représente désormais un fournisseur secondaire, mais néanmoins important et fidèle (alimentant pour 10 à 15 % les centrales françaises selon Orano [9], peut-être à nouveau davantage si le gisement d’Imouraren est un jour exploité). Il fournit également l’uranium à usage militaire. Le pays est devenu ces dernières années un pilier de la politique d’externalisation des frontières de l’Union européenne, qui lui délègue la sale besogne de bloquer les routes migratoires – une orientation largement poussée par Emmanuel Macron dès son élection en 2017 [10], alors même que Mohammed Bazoum était alors ministre de l’Intérieur au Niger. Surtout, le pays a pris ces derniers mois une importance centrale pour le maintien d’une présence militaire française au Sahel à l’heure de la ré-articulation du dispositif militaire tricolore en Afrique, aux côtés du Tchad où stationne toujours un millier de soldats français, et alors qu’on annonce en réponse aux critiques croissantes une nouvelle réduction des effectifs des bases permanentes au Sénégal, en Côte d’Ivoire, au Gabon [11] (Djibouti n’est pas concernée). En dépit du flou juridique entourant leur présence (ni opération extérieure, depuis la fin officielle de Barkhane, ni base permanente), Emmanuel Macron s’apprêtait même à officialiser le maintien des militaires au Niger, présenté à l’envi comme le « laboratoire » de l’armée française au Sahel [12]. La France ne se résout donc pas à perdre son allié nigérien et refuse même de prendre acte de la dénonciation début août par les putschistes des accords militaires passés avec elle, au prétexte « que le cadre juridique de sa coopération avec le Niger en matière de défense repose sur des accords qui ont été conclus avec les autorités nigériennes légitimes » [13].

Accepter que l’histoire s’écrive sans la France

Ironie du sort, l’intransigeance affichée par Paris depuis le début du coup d’État, même si elle flatte l’ego impérialiste des Français, fait le jeu des nouvelles autorités nigériennes. Elle leur permet de mobiliser plus facilement la population des grandes villes du Niger et de s’offrir ainsi la légitimité qui manquait à leur accession au pouvoir, qui, initialement, s’apparente davantage à une révolution de palais. Cette mobilisation paye puisqu’elle contribue à faire fléchir des États membres de la CEDEAO : le Cap Vert s’est dit opposé à une intervention militaire [14], le Togo s’est désolidarisé de l’organisation régionale [15] et le nouveau président du Nigeria, surtout, semble finalement hésiter à se lancer dans une telle aventure, fortement contestée dans son pays. D’autre part, la nette prise de distance des États-Unis avec la France, isole cette dernière dans ses postures martiales au point que sa propre base militaire pourrait se trouver sacrifiée pour que d’autres pays occidentaux puissent conserver la leur [16].

Ayant une fois de plus pour seule boussole la préservation cynique de son influence en Afrique, Paris n’a fait que souffler sur les braises depuis le coup d’État, là où une trop longue histoire coloniale et néocoloniale aurait dû l’inciter à la discrétion et à la neutralité. La France doit au contraire enfin accepter que l’histoire de l’Afrique francophone s’écrive sans elle. Pour cela, l’armée française, qui avait trouvé dans un déplacement de groupes djihadistes un prétexte formidable pour se déployer il y a 10 ans, doit quitter le Sahel et l’Afrique en général.

[1La base aérienne de Niamey où sont stationnés la plupart des soldats français est en effet située au niveau de l’aéroport international Hamani Diori. On se souvient par ailleurs qu’en 2008, le contrôle français de l’aéroport de N’Djamena au Tchad avait permis à la France de sécuriser les moyens militaires d’Idriss Déby alors assiégé par une rébellion, et de renverser la situation.

[3« Burkina Faso – Suspension de l’aide au développement et de l’appui budgétaire (6 août 2023) », https://www.diplomatie.gouv.fr/fr/dossiers-pays/burkina-faso/evenements/article/burkina-faso-suspension-de-l-aide-au-developpement-et-de-l-appui-budgetaire-06

[4« Niger - Communiqué du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères (10 août 2023) », https://www.diplomatie.gouv.fr/fr/dossiers-pays/niger/evenements/article/niger-communique-du-ministere-de-l-europe-et-des-affaires-etrangeres-10-08-23

[6Voir « Niger : L’espace civique en voie d’extinction », Rapport de la coalition internationale Tournons La Page, juin 2022

[7À ce sujet, voir Raphaël Granvaud et David Mauger, Un pompier pyromane - L’ingérence française en Côte d’Ivoire d’Houphouët-Boigny à Ouattara, coll. Dossier noir, Agone-Survie, 2018

[11Bases que l’exécutif français cherchait depuis février à relégitimer, voir Thomas Borrel, « Coup de bluff à l’Élysée », Billets d’Afrique n°326, mars 2023

[12Voir Raphaël Granvaud, « Militaires français en Afrique. Le trompe-l’œil de la "réarticulation" », Afrique XXI, 12 juillet 2023

[13Point presse du MAE français, 4 août 2023, https://www.diplomatie.gouv.fr/fr/dossiers-pays/niger/evenements/article/q-r-niger-extrait-du-point-de-presse-04-08-23. Précédemment, au Mali et au Burkina Faso, les autorités « légitimes » aux yeux de Paris avaient démissionné, ce qui n’a pas laissé cet artifice aux Français lorsque les nouvelles autorités ont dénoncé les accords militaires.

[16Leslie Varennes, « Au Niger, la France lâchée par ses alliés », note d’Iveris, 11 août 2023

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