Le transfert de six camps militaires français aux forces armées sénégalaises semble aller dans le sens des appels à la souveraineté et à la rupture portés par le Pastef, arrivé au pouvoir en 2024. Pourtant, le pilier militaire du néocolonialisme français en Afrique est loin d’avoir été annihilé. La progression des groupes djihadistes vers le Golfe de Guinée et la "stratégie de l’Indo-pacifique" continuent d’être invoqués pour justifier le maintien d’une coopération militaire et policière sur le continent africain, certes plus discrète... mais toujours aussi complice des pires violations des droits humains. Deux bases militaires permanentes sont toujours deux bases de trop !
La coopération militaire et policière pourrait même reprendre du service en Centrafrique, selon le général français Pascal Ianni, qui dirige le commandement de l’armée française pour l’Afrique, et le le ministre centrafricain de la Défense, Rameaux-Claude Bireau (RFI, 12 juillet 2025).
Si "l’ingratitude est une maladie non transmissible à l’homme" [1] comme l’a assuré en début d’année Emmanuel Macron en référence aux chefs d’État sahéliens, qu’en est-il du racisme, de l’impérialisme et de l’inconstance politique ? Le 27 février 2023, le même président annonçait une reconfiguration des bases militaires permanentes françaises en Afrique pour construire "une nouvelle relation, équilibrée, réciproque et responsable" [2] avec les partenaires du continent. Deux ans plus tard et plusieurs départs imposés - ou concédés, le retrait militaire français de Côte d’Ivoire et du Tchad n’étant pas assorti d’une rupture politique -, l’exécutif français a certes toléré de sacrifier certains effectifs militaires... mais pas les opérations extérieures, ni les coopérants, formateurs et équipements qui continuent d’alimenter les appareils répressifs de régimes autoritaires. En témoigne la complicité silencieuse de l’État français face à l’écrasement meurtrier des Togolais-es en lutte contre le règne de Faure Gnassingbé [3], soutien de la première heure à l’interventionnisme militaire de Paris au Sahel. La guerre "contre le terrorisme" - emprunt idéologique aux néo-conservateurs américains et plagiat des effets déstabilisateurs de leurs ingérences au Moyen-Orient [4] - aura effectivement permis de sceller l’association entre présence militaire française sur le continent et défense de l’intégrité du territoire national contre une menace djihadiste... et migratoire.
Aujourd’hui, l’attention se concentre sur la réduction du dispositif français à deux bases permanentes en Afrique, avec 350 militaires au Gabon et 1500 à Djibouti. Cette dernière est commodément exclue par les autorités françaises de la liste des bases africaines, au prétexte de son orientation vers "l’Indo-pacifique", alors même que que le président français a expliqué qu’elle pourrait servir de "point de projection" pour des missions en Afrique... (RFI, 20 décembre 2024) C’est cette même stratégie, associée à l’obsession raciste d’empêcher les Comorien-nes de circuler librement sur leur archipel, qui légitime, pour certain-es député-es, l’ouverture d’une deuxième base militaire navale à Mayotte (France Info, 14 mars 2025). Ces écrémages sont alors analysés tantôt comme un signe d’humiliation, tantôt comme un indicateur d’un renouveau historique dans les relations entre la France et l’Afrique. Pourtant, la discrétion est un mot d’ordre qui apparaît depuis longtemps comme un choix stratégique pour rester tout en balayant les critiques légitimes formulées à l’encontre de la politique française. C’est en ce sens que le Quai d’Orsay "a recommandé à la quinzaine de coopérants de sécurité en fonction en Guinée de limiter les apparitions publiques aux côtés de leurs homologues locaux" quand le silence de Paris devenait un peu trop assourdissant face à la violente répression exercée par le nouveau régime militaire de Conakry (Africa Intelligence, juillet 2024).
" Notre modèle ne doit plus être celui de bases militaires telles qu’elles existent aujourd’hui " déclarait donc Emmanuel Macron en 2023. Pour souffler la première bougie de ces énièmes annonces de rupture destinées à masquer la continuité, un collectif d’une trentaine d’associations, syndicats et partis politiques réuni par Survie se mobilisait pour demander un véritable "agenda de retrait militaire total" [5]. Une dynamique prolongée au sein de la coalition Guerre à la guerre, qui vise à désarmer le business de la guerre et de la répression. Il faut dire que rares sont les occasions d’interroger démocratiquement le bien fondé du maillage militaire français, et les quelques occurrences se démarquent par leur superficialité et leur précarité intellectuelle. Lors de l’examen du nouveau traité de coopération militaire avec Djibouti [6], les hémicycles quasi-vide ont relégué la violence de la dictature d’Ismaïl Omar Guelleh au rang d’anecdote face aux enjeux stratégiques de conserver un tel point de projection pour l’armée française.
Le caractère performatif des annonces de renouveau et la (ré)invention successive des justifications officielles à la présence militaire française ont effectivement permis de tuer le débat... mais c’est également ce qui permet de comprendre leur manque d’ancrage dans le réel et la continuité coloniale toujours à l’œuvre. Survie avait détaillé en 2017 dans un rapport le manque de transparence qui entoure la coopération militaire et policière française [7] : absence d’information sur le nombre de conseillers et le contenu des formations mis à disposition, opacité complète sur les fournitures de matériels utilisés pour réprimer... Ces éléments inquiétants qui caractérisent l’exportation du "savoir-faire" sécuritaire français sont absents des discussions institutionnelles politiques et médiatiques : ni le rapport sur la reconfiguration du dispositif militaire français en Afrique remis par Jean-Marie Bockel à Emmanuel Macron en novembre 2024, ni l’annuel rapport au Parlement sur les ventes d’armes ne permettent de lever le voile sur ces partenariats commerciaux de la mort...
Deux bases permanentes sont toujours deux bases de trop ! Le "pays des droits de l’homme" continue de s’ingérer, discrètement, et se rend complice des armées ou polices coupables de graves violations des droits humains. Une véritable rupture dans les pratiques néocoloniales de l’État français en Afrique ne peut se matérialiser qu’à condition d’un démantèlement pur et simple de l’ensemble des ramifications de l’influence militaire française. Pour parler de la Françafrique au passé, au-delà de la reconnaissance officielle des complicités et des crimes coloniaux et néo-coloniaux de l’armée et de l’État français, du massacre de Thiaroye au génocide des Tutsis au Rwanda, il est impératif :
[1] https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2025/01/06/conference-des-ambassadrices-et-ambassadeurs-2025
[2] https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2025/01/06/conference-des-ambassadrices-et-ambassadeurs-2025
[3] https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2025/01/06/conference-des-ambassadrices-et-ambassadeurs-2025
[4] https://survie.org/publications/les-dossiers-noirs/article/de-l-huile-sur-le-feu-la-france-en-guerre-contre-le-terrorisme-en-afrique
[5] https://www.liberation.fr/idees-et-debats/tribunes/armee-francaise-en-afrique-il-est-largement-temps-de-partir-20240227_4QBRQ3T3TZDHZKJ2DUBSFW3HSM/?redirected=1